QUINZAINE CONSACREE AUX VICTIMES DU MENSONGE, DE L’INJUSTICE ET DE L’IMPUNITE
Dans le dossier n°1 publié dans le cadre de notre Quinzaine consacrée aux victimes du mensonge, nous avons présenté le Cas de Monsieur Eugène NGABWA, un veuf du génocide, qui est également un des fils de l’ancien bourgmestre de Shyanda. Dans ce dossier n°3, nous présentons le cas d’un intellectuel, Monsieur Ambroise CYUBAHIRO, qui est aussi fils de l’ancien bourgmestre de Kinihira (devenue Masango plus tard), sous le régime du président Grégoire Kayibanda. C’est aussi un vétérinaire de formation et de profession. C’est-à-dire un intellectuel Hutu qui fait partie de cibles privilégiées du régime totalitaire qui sévit au Rwanda depuis 23 ans.
Pour illustrer cette chasse aux intellectuels Hutu, le CLIIR ne peut que vous renvoyer consulter le Thème n°11 « Elimination de l’Intelligentsia Hutue » publié le 12 décembre 2014 dans notre « Quinzaine de Lutte contre la Culture du Mensonge, de l’Injustice et de l’Impunité ».
Dans le livre de 494 pages du Lieutenant tutsi Abdul Ruzibiza, publié en octobre 2005 aux éditions Panorama et intitulé « Rwanda : Histoire secrète » dans les pages 262-263 la chasse aux intellectuels hutu y est décrite. Ce militaire tutsi de l’armée du Front Patriotique Rwandais (FPR) reconnaît que sont armée a mené la chasse aux intellectuels et à l’intelligentsia Hutu dans la ville de Kigali à partir du 13 avril 1994. Je cite cet extrait:
(…) « L’autre tâche, accomplie par le 3è bataillon, la DMI et les extrémistes du FPR, a été la sélection et l’enlèvement de Hutus partout où ils étaient faits prisonniers par l’APR dans la ville de Kigali. Ils étaient raflés pour être liquidés par la suite. Cette tâche a été accomplie par des gens qui connaissaient bien la ville de Kigali et par les politiciens protégés par le FPR. C’est le capitaine Charles KARAMBA, le capitaine Jean Damascène SEKAMANA, et les autres agents de renseignement qui ont établi des listes de Hutus à tuer sous le prétexte qu’ils étaient des Hutus instruits ou avaient des familles influentes. La tâche était facile parce qu’ils prenaient des renseignements auprès des familles tutsies réfugiées au CND ou au stade Amahoro à Remera » (…).
Le cas de Monsieur Ambroise CYUBAHIRO est bien détaillé dans notre communiqué n°108/2007 du 06/10/2007 et intitulé : « Le procès GACACA de KINAZI-RUSATIRA perturbé: des rescapés Tutsis intimidés par la Police pour avoir défendu CYUBAHIRO Ambroise, un hutu détenu pendant 13 ans ».
Rappelons quelques extraits :
Le médecin vétérinaire CYUBAHIRO Ambroise a été condamné arbitrairement à 30 ans de prison le 23 janvier 2008 par le tribunal GACACA de Ngoma siégeant dans le secteur Kinazi. Il a été oublié pendant 13 ans dans les prisons mouroirs du Rwanda.
D’après les témoins oculaires de ce procès, les principales charges retenues contre lui sont les suivantes:
– Au moment du génocide, Ambroise CYUBAHIRO était le plus diplômé de l’ISAR (médecin vétérinaire à l’Institut des Sciences Agronomiques du Rwanda) et donc, pour les juges qui siégeaient, il était le plus responsable.
– Il est le fils de Benoît NKERAMIHIGO, connu pour avoir été membre imminent du MDR (Mouvement Démocratique Républicain) Parmehutu et bourgmestre sous la présidence de Grégoire KAYIBANDA dans les années 1960.
Les juges GACACA ont donc conclu qu’Ambroise CYUBAHIRO était responsable de la mort de toutes les personnes assassinées pendant le génocide à Songa. Leur nombre varie d’un témoin à l’autre. Il est estimé entre 5.000 et 40.000 personnes. Par ailleurs, non seulement il est responsable de leur mort, mais également du fait qu’Ambroise les aurait mal enterrées et qu’elles ont été déterrées par les animaux. Le fait qu’il est le fils d’un ancien du MDR Parmehutu, serait la preuve qu’il a « l’idéologie du génocide » et de ce fait, il est condamnable.
Rappelons qu’en date du 26 septembre 2007, Ambroise CYUBAHIRO avait été acquitté par la population présente à Kinazi et qu’un seul juge sur les cinq avait refusé de signer cet acquittement. Dans le communiqué n°108 du 6 octobre 2007 consacré au procès de CYUBAHIRO Ambroise, le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR)* a dénoncé les harcèlements et les intimidations subis par les rescapés Tutsis qui avaient osé témoigner à décharge dans les procès contre des intellectuels Hutu, maintenus en prison non par pour les crimes qu’ils auraient commis mais parce qu’ils sont nés Hutu.
Rappel de son arrestation à la barrière de CYIZI le 12/09/1994 :
Cet ancien médecin vétérinaire était directeur Adjoint de l’Institut des Sciences Agronomiques du Rwanda (ISAR) sis à SONGA, dans l’ex-commune de Rusatira, dans l’ancienne préfecture de Butare. Il a été arrêté le 12 septembre 1994 par des militaires du FPR à la barrière de CYIZI, en commune Maraba. Il fut détenu à la prison de Karubanda à Butare le lendemain 13 septembre 1994. Il fut transféré de la prison de Karubanda (Butare) à celle de Nyanza le 07/10/1999.
Au moment de son arrestation, CYUBAHIRO convoyait plusieurs vaches appartenant à l’ISAR-Songa qu’il voulait remettre aux nouvelles autorités du FPR. Il ramenait ces troupeaux de la Zone Humanitaire Turquoise (créée par l’armée française de juin à août 1994) où il les avait mis en sécurité et à l’abri des combats.
Sans dossier consistant étayé par des preuves sérieuses à charge, cet intellectuel Hutu n’a été présenté que deux fois (le 19 juillet 1995 et en novembre 1999) devant la chambre du conseil depuis son arrestation le 12/09/1994, selon un rapport d’Avocats sans frontières (ASF) daté du 7 juillet 2000.
Le 17 septembre 2001, dans une sorte de Gacaca tenu dans la prison de NYANZA, quatre détenus ont totalement disculpé Monsieur CYUBAHIRO. Les noms de ces détenus sont conservés dans nos archives. Ce Gacaca concernait les crimes et les pillages qui ont été commis dans le secteur BUREMERA, cellule NYARUGUNGA (ancienne commune de Rusatira, préfecture Butare). Les témoins ont accusé leur conseiller d’avoir été cherché les militaires qui ont massacré les réfugiés de Songa. CYUBAHIRO ne pouvait conduire les massacreurs alors qu’il ne connaissait pas beaucoup de riverains du Centre de SONGA.
Rappel des harcèlements subis par les témoins Tutsis à décharge :
Au moment où des rescapés Tutsi sont assassinés par de mystérieux escadrons de la mort (Voir notre communiqué n°107/2007du 03/10/2007 sur le cas de M. Sezirahiga François, ancien bourgmestre innocent mort en prison), d’autres rescapés Tutsis sont intimidés et terrorisés par la police. Il s’agit de plusieurs rescapés Tutsis qui ont été convoqués par le commandant de Police de RUSATIRA (district Huye, province du Sud) ce vendredi 5 octobre 2007. L’un d’eux, Monsieur NDAHIRO, a été enfermé au cachot de la police pendant deux heures pour mieux l’intimider et terroriser les autres. Pourquoi cette convocation policière ? Parce que ces rescapés Tutsis ont osé témoigner à décharge dans le procès GACACA de Monsieur CYUBAHIRO Ambroise, un médecin vétérinaire oublié pendant 13 ans dans les prisons mouroirs du Rwanda.Ces mêmes rescapés Tutsis, intimidés par la Police vendredi le 5/10/2007, sont convoqués, de nouveau, ce lundi 8 octobre 2007 pour justifier leurs témoignages à décharge devant les juges GACACA qui ont conduit ce procès. Peut-être qu’on veut les pousser à changer d’avis comme c’est arrivé dans d’autres procès Gacaca où des témoins à décharge sont terrorisés et muselés.
La séance Gacaca, prévu le mercredi 10 octobre 2007 pouvant être décisive, ces incessantes convocations visent probablement à intimider ces rescapés du génocide dont les témoignages à décharge ont totalement disculpé Monsieur CYUBAHIRO Ambroise. Le verdict pressenti favorable à l’accusé, qui était attendu pour mercredi 26 septembre 2007, pourrait probablement tomber le mercredi 10 octobre 2007 si le Service National des Juridictions Gacaca (SNJG) n’interfère pas négativement dans ce procès pour des raisons politiques.
Commencé le 29 août 2007, le procès de CYUBAHIRO Ambroise se déroule devant le tribunal GACACA de la cellule KINAZI qui siège à l’école primaire de Gitovu dans le district de HUYE, province du Sud. Le verdict était attendu le mercredi 26 septembre 2007. Tout son procès a été caractérisé par des affrontements verbaux entre groupes de rescapés. Les rescapés se sont divisés en deux camps, lorsqu’ils ont constaté qu’un petit groupe de rescapés tutsi, manipulé par l’ancien caissier de l’ISAR, Monsieur MURANGAMIRWA, s’acharnait à calomnier l’accusé Ambroise Cyubahiro.
Mercredi 26 septembre, la population avait été invitée à venir entendre le verdict de ce procès. Vers 10h, un des juges Gacaca, Monsieur URAYENEZA Jean Marie Vianney, est sorti subitement de la salle où tous les juges étaient en train de délibérer sur le verdict à rendre. Il est venu chercher Monsieur MURANGAMIRWA et son groupe qu’il a invité dans la salle de délibération tout en jurant à haute voix que « ce hutu devait être absolument condamné ». La population présente fut très scandalisée d’entendre dire qu’au lieu de prononcer le verdict ce jour-là, les débats allaient recommencer suite à l’ingérence des « témoins à charge » conduit par Murangamirwa et soutenu par un des juges, Urayeneza JMV.
Voici quelques RECOMMANDATIONS du CLIIR pendant son procès:
– Que les délibérations du procès de CYUBAHIRO Ambroise soient clôturées le 10 octobre 2007 comme prévu, en respectant la volonté de la population de Kinazi;
– Que le juge URAYENEZA Jean Marie Vianney soit écarté des délibérations puisqu’il n’est pas neutre. Nous avons appris qu’il aurait entrepris de sensibiliser une fille rescapée tutsi afin qu’elle vienne accuser CYUBAHIRO de l’avoir violé. Une accusation grave, qui vient après la clôture des débats et qui n’avait jamais été évoquée depuis l’arrestation de l’accusé le 12/09/1994 (soit après 13 ans et 1mois).
– Que les personnes qui sont venues calomnier l’accusé soient punies conformément aux dispositions légales prévues par la loi sur le GACACA ;
– Que le commandant de Police de Rusatira et les manipulateurs des témoins à charge (tels que le juge URAYENEZA JMV, Monsieur MURANGAMIRWA et Obed IKIBARUTA) soient poursuivis pour harcèlement et campagne d’intimidations contre les témoins à décharge.
– Que l’accusé CYUBAHIRO Ambroise soit reconnu innocent et acquitté conformément au résultat prévisible des débats et des délibérations justes et équitables.
– Que les témoins à décharge ainsi que les membres de famille de l’accusé soient protégés contre les intimidations dénoncées ci-dessus.
– Que le Service National des Juridictions GACACA (SNJG) soit protégé contre l’ingérence de la DMI et des responsables de Police ou d’autres autorités administratives.
– Que toutes les organisations nationales et internationales des droits humains exigent la suspension des tribunaux GACACA tant qu’ils seront contrôlés et paralysés par les agents de la DMI.
Fait à Bruxelles, le 29/11/2017
Joseph MATATA, Coordinateur du CLIIR