QUINZAINE CONSACREE AUX VICTIMES DU MENSONGE, DE L’INJUSTICE ET DE L’IMPUNITE
« Le destin de toute vérité est d’être ridiculisée avant d’être reconnue » (Albert Schweitzer).
Le 27 février 2015, soit environ 3 semaines après l’assassinat de l’homme d’affaire tutsi Assinapol RWIGARA (tué le 04/02/2015), le musicien chanteur Kizito MIHIGO est condamné à 10 ans de prison. Il avait été enlevé dans la rue le 06/04/2014 et séquestré dans un cachot secret avant d’être présenté le 14/04/2014 à la presse par la police rwandaise. A la surprise de tous, quelques heures après son audience au tribunal le 21 avril 2014, une interview « confession » avait été diffusée sur la radio et sur internet : Kizito venait de « plaider coupable » de tous les chefs d’accusation. Mais tous ceux qui connaissent l’intéressé sont convaincus que l’emprisonnement du musicien Kizito Mihigo découle de son engagement à honorer la mémoire de toutes les victimes rwandaises.
Sur pression du pouvoir qui n’a pas manqué d’exercer sur lui la « torture blanche » pour obtenir « ses aveux », l’intéressé a dû tout avouer et demandé pardon au président de la République, aux autorités et au peuple rwandais pour avoir fréquenté des mauvaises personnes et avoir nourri des idées subversives. Nous ne doutons pas un seul instant que Kizito Mihigo a été soumis à la torture « blanche », telle qu’elle est enseignée dans les manuels de la CIA américaine de 1963 et 1983[1].
Cette sorte de torture ne laisse pas de traces sur le corps physique mais produit « un état de régression et la perte des défenses les plus récemment acquises par l’homme civilisé. Ces fonctions peuvent se détériorer sous l’effet de dérangements homéostatiques relativement légers : fatigue, douleur, privation de sommeil…une fois cette perturbation produite, la résistance du sujet est sérieusement diminuée. Si celui qui interroge peut intensifier ces sentiments de culpabilité, cela augmentera l’angoisse du sujet et son désir de coopérer pour en finir ».
Selon une autre célèbre victime de la torture, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Tchécoslovaquie, M. Artur London[2], dans son célèbre livre « L’aveu » paru en 1968, la torture « blanche » est décrite comme suit : « J’ai connu des interrogatoires des Brigades spéciales anti-terroristes de Paris, célèbres pour leurs brutalités. J’ai connu les camps de concentration nazis, et les pires, Neue Bremme, Mautausen. Mais les injures, les menaces, les coups, la faim, la soif, sont jeu d’enfants à côté du manque organisé de sommeil, ce supplice infernal qui vide l’homme de toute pensée, ne faisant de lui qu’un animal dominé par son instinct de conservation ».
Nous connaissons les méthodes décrites dans le très récent rapport de 91 pages de l’ONG américaine, Human Rights Watch (HRW) intitulé : «Nous vous forcerons à avouer : torture et détention illégale au Rwanda ». HRW affirme avoir documenté la détention illégale dans des camps militaires et la torture généralisée et systématique effectuée par l’Armée. Parlant de la torture généralisée au Rwanda, un article du journal Le Figaro avec AFP, du samedi 21/10/2017, rapporte qu’un comité de l’ONU pour la prévention de la torture a annoncé avoir suspendu sa visite au Rwanda en raison d’obstacles dressés par les autorités. La crainte a également surgi que des personnes interrogées puissent être victimes de représailles (voir l’article en annexe).
Pourquoi ce rescapé tutsi est en prison ?
L’emprisonnement du musicien Kizito Mihigo découle de son engagement à honorer la mémoire de toutes les victimes rwandaises. Pour mériter ce châtiment, il a chanté sa compassion envers toutes les victimes rwandaises dans sa célèbre et émouvante chanson « Igisobanuro cy’Urupfu » les mots suivants :
"Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion pour d’autres personnes qui ont été victimes d’actes qui n’ont pas été qualifiés de "génocide". Ces frères-là, ce sont aussi des êtres humains, je prie pour eux…ils ont toute ma compassion…je les porte dans mes pensées".
Dans cette chanson, Kizito Mihigo reconnaît qu’il est orphelin du génocide des Tutsis. Il exprime sa compassion envers les victimes d’autres "massacres" ou "actes de méchanceté" qui n’ont pas été qualifiés de génocide.
Il clame haut et fort sa "compassion" avec ces autres "victimes" qui "sont aussi des êtres humains", dignes de "compassion" et de reconnaissance.
Dans la même chanson, il fait référence, insidieusement, au programme "Ndi Umunyarwanda" en affirmant qu’avant « d’être rwandais » on est d’abord « un être humain= umuntu ». Le président Kagame a été vexé par la profondeur de cette chanson qui est vite devenue un best seller parmi les rwandais de l’intérieur et de la diaspora.
Chronologie de son emprisonnement :
· Au mois de mars 2014, Kizito Mihigo publie sur YouTube une nouvelle chanson intitulée Igisobanuro cy’Urupfu (La signification de la mort), dans laquelle le chanteur critique la version officielle du génocide des Tutsis, et réclame la compassion pour toutes les victimes dont celles du génocide, mais aussi celles des vengeances. La chanson est rapidement interdite par les autorités rwandaises et aussitôt effacée sur YouTube. Mais les internautes n’ont jamais cessé de le re-poster sur Youtube et sur d’autres sites.
· Le 06 avril 2014 vers 11h, Kizito Mihigo a été arrêté sur la route et séquestré dans un lieu tenu secret. Il aurait été soupçonné d’avoir mobilisé la jeunesse et collaboré activement avec les partis d’opposition Rwanda National Congress (RNC) et FDLR (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda) pour renverser le gouvernement par l’assassinat de certaines autorités, à commencer par le Président Paul Kagame.
Cet emprisonnement arbitraire confirme qu’au Rwanda : « l’homme qui ne parle pas, a peur » tandis que « l’homme qui parle, fait peur ». C’est les cas de Kizito et des autres opposants politiques.
· Le 14 avril 2014, Kizito Mihigo, dont la disparition est mal vécue par ses fans, est présenté à la presse par la police. L’objectif, c’est de le montrer mais sans lui laisser le temps de dire ce qu’il avait vécu pendant sa séquestration. La police avait pourtant nié connaître son sort.
· Le 21 avril 2014, il est présenté devant un juge au tribunal de Gasabo à Kigali. Quelques heures plus tard, il plaide coupable de tous les chefs d’accusation.
· Lundi le 29 décembre 2014, dans son réquisitoire, le parquet demande que le tribunal condamne Kizito MIHIGO et Cassien Ntamuhanga à la prison à perpétuité pour : association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’Etat et au chef de l’Etat et pour terrorisme. Il demande aussi 50 ans de prison pour Dukuzumuremyi Jean Paul et 25 ans pour Madame Niyibizi Agnès. Ces trois suspects sont présentés dans le même dossier.
· Le verdict tombe le 27 février 2015. Kizito MIHIGO est condamné à 10 ans de prison pour « conspiration contre le gouvernement » du président Paul Kagame. Le journaliste Cassien Ntamuhanga est condamné à 25 ans, Jean Paul Dukuzumuremyi à 30 ans. Mme Agnès Niyibizi fut acquittée pour s’occuper de son enfant avec Dukuzumuremyi J.Paul.
L’artiste musicien et chanteur Kizito MIHIGO est né le 25 juillet 1981 à Kibeho (ancienne préfecture Gikongoro, au sud du Rwanda). En 2014, il allait avoir 33 ans au moment de son enlèvement à Kigali le 06 avril 2014. Son seul tort : il venait de diffuser une chanson qui exprime toute sa compassion envers toutes les victimes de la tragédie rwandaise : celles du génocide et celles des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des crimes de vengeance planifiée contre des civils hutus innocents. Sa chanson « Igisobanuro cy’Urupfu : La signification de la mort ». confirme sa philosophie dans son refrain en Kinyarwanda qui dit : « Urupfu nicyo kibi kiruta ibindi, ariko rutubera inzira igana ikiza kiruta ibindi ». Ce qui veut dire en français : « La mort est la plus mauvaise chose mais elle nous conduit vers la plus merveilleuse destination (sous entendu vers Dieu, notre créateur)»
Dans cette chanson, Kizito fait allusion à d’autres programmes gouvernementaux, tels que le programme « Ndi Umunyarwanda » visant à diviser les rwandais en deux catégories : celle des victimes TUTSI et celle des bourreaux HUTU. Dans cette chanson, Kizito s’exprime dans ses mots : «Ndi Umunyarwanda » ijye ibanzirizwa na « Ndi Umuntu » ; ce qui veut dire en français : « Je suis un être humain » doit primer sur « je suis rwandais ».
Monsieur Kizito MIHIGO mérite d’être libéré, mais le régime totalitaire du Rwanda ne tolère pas la moindre liberté d’expression. Et c’est pour cette raison que des dizaines d’opposants politiques croupissent dans les prisons mouroirs du Rwanda.
Fait à Bruxelles, le 04/12/2017
Joseph MATATA, Coordinateur du CLIIR