Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda dénonce et condamne l’assassinat de 22 personnes à MURAMBA, Commune Satinskyi, préfecture de Gisenyi dans le nord-ouest du Rwanda. En effet, dix-sept élèves, leur Directrice et quatre autres personnes ont été massacrées dans la nuit du 27 au 28 Avril 1997 vers 1 heure du matin. Il s’agit de:
1. Mlle Griet BOSMANS, Directrice belge de l’Ecole Normale Primaire (ENP) de Muramba, religieuse des Auxiliaires de l’Apostolat.
2. MUKAGATARE Liberata, originaire de la Commune MUSAMBIRA (Gitarama)
3. KANTENGWA Marie Rose, originaire de la Commune RUTOBWE (Gitarama)
4. MUHORAKEYE Hilarie, originaire de la Commune RUTOBWE (Gitarama)
5. MUKAKARANGWA Béata, originaire de la Commune NYAKABANDA (Gitarama)
6. KAWERA Marie Josée, originaire de la Commune NYAKABANDA (Gitarama
7. MUKAKAMALI Marie Goretti, originaire de la Commune NYAKABANDA (Gitarama)
8. MUGIRANEZA Grâce, originaire de la commune KAYENZI (Gitarama)
9. KANKWANZI Primitive, originaire de la Commune TABA (Gitarama)
10. MUKAMAZIMPAKA Ingabire, originaire de la Commune GICIYE (Gisenyi)
11. NYIRANSABIMANA Angèle, de la Commune RAMBA (Gisenyi)
12. MUKANDEGE Philomène, de la Commune SATINSKYI (Gisenyi)
13. NIRERE Germaine, originaire de la Commune SATINSKYI (Gisenyi)
14. ICYIMPAYE Josiane, originaire de la Commune KICUKIRO (Kigali-Ville)
15. MUKAWERA Jeanette, originaire de la Commune RUBUNGO (Kigali-rural)
16. KAMPIRE Monique, originaire de la Commune NYAKIZU (Butare)
17. MUKANKAKA Valentine, originaire de la Commune KAMEMBE (Cyangugu)
18. TWAGIRAMALIYA Epiphanie, élève à l’Ecole primaire, qui vivait avec les soeurs.
19. MURORUNKWERE, épouse d’un militaire qui logeait la nuit à l’Ecole de Muramba
20. UWICYEZA Béata, épouse du Conseiller de Secteur MATYAZO qui logeait à l’Ecole
21. NZABALINDA Félicien, petit frère du Conseiller de Secteur RUCANO
22. LYIVUZE, un petit boutiquier, chantre de la Paroisse Muramba, qui logeait à l’Ecole
Les quatre (4) derniers ont été tués dans un même bâtiment où les Conseillers des secteurs RUCANO, MATYAZO, MUNINI et GITWA avaient pris des logements à l’intérieur de l’Ecole. En effet, suite à l’insécurité généralisée, suivie d’une répression militaire aveugle, qui frappait cette région depuis juin 1996, ces autorités locales hutu avaient fui leurs résidences habituelles. Des veuves essentiellement hutu avec leurs filles venaient dormir chaque soir à l’Ecole, pour éviter de se “faire violer” par les soldats de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) qui campent très nombreux dans cette région, et où ils mènent une chasse impitoyable à des “infiltrés hutu” selon les autorités rwandaises. Ce bâtiment, qui leur servait de logement, a été attaqué après le massacre des filles et de leur Directrice de l’Ecole.
Voici comment les faits se seraient déroulés selon certaines autorités:
Une bande de personnes armées de fusils s’est introduite dans l’Ecole secondaire d’Economie et de Commerce sise à TETERO après avoir fait une brèche dans la clôture près des dortoirs des élèves. Cette bande se serait divisée en trois (3) groupes:
Le premier groupe aurait attaqué la position militaire tenu par un détachement de l’APR chargé de la sécurité de l’Ecole. Le second groupe a attaqué et tué directement les élèves au dortoir de l’Ecole Normale Primaire sise à RABA (la colline de Raba est située à 800 mètres environ en face de l’Ecole des filles de Tetero). Le troisième groupe a pris et obligé la Soeur Directrice de l’Ecole de TETERO d’aller leur montrer où logeait Mlle Griet BOSMANS, Directrice de l’Ecole voisine (Ecole Normale Primaire de RABA). Cette dernière a été tuée après avoir donné aux tueurs tout l’argent qu’elle avait, tandis que l’autre Directrice a été relâchée et fut retrouvée le lendemain. Jusqu’au 29 avril 1997, cette Directrice qui s’appelle Soeur Marie de l’Annonciation (de la congrégation des soeurs Benebikira) était encore incapable de raconter ce qui s’était passé.
En date du 29/04/1997, les autorités militaires avaient déclaré avoir attrapé un nommé HARELIMANA Gaspard de la commune RAMBA qui aurait possédé des habits militaires. Il aurait avoué avoir fait partie des attaquants de l’Ecole dirigés par un certain lieutenant MABUYE des anciennes Forces Armées Rwandaises (FAR), paraît-il. Des enquêtes minutieuses seraient en cours pour l’identification de ces malfaiteurs.
Avant de donner les conclusions de ses investigations, le Centre vous propose d’abord:
1) L’Etat des lieux et l’emplacement des “détachements militaires de l’APR”:
La Commune Satinsyi est une région enclavée située entre les chefs lieux des préfectures de Ruhengeri (au nord) et de Gitarama (au sud) distants de 156 Km environ. Elle se trouve tout au nord de la S/Préfecture de NGORORERO (qui compte 3 communes: Kibilira, Ramba et Satinsyi) dans la préfecture de GISENYI. Le centre paroissial de Muramba est le pôle de développement de cette région qui se distingue avec 3 Ecoles Secondaires (dont 2 officielles et une privée). Le petit centre commercial de GATEGA, qui se trouve environ à 1 km de la grand-route Gitarama-Mukamira, approvisionne la population locale
Les distances entre les différentes infrastructures sont les suivantes: L’Ecole normale Pédagogique de RABA se trouve environ à 3 km du centre commercial de Gatega, à un 1 km du Dispensaire et Maternité, à 800 mètres de la Paroisse de Hanika (à Muramba). La distance qui sépare les deux écoles de Tetero et Raba se situe entre 600 et 800 mètres environ. Entre les deux écoles, il y a une barrière de l’Armée Patriotique Rwandaise APR (chargée de la sécurité des deux écoles) située à environ 300 mètres de l’ENP de Raba dans une sorte de plaine appelé “ITABA” sur la route qui mène vers Vunga. Entre l’ENP de Raba et la paroisse se trouve “un campement et une prison de l’APR” proches de l’Ecole attaquée. Ensuite MURAMBA se trouve environ à 8 km de la S/Préfecture de Ngororero (vers Gitarama) et à 8 km de la S/Préfecture Kabaya (vers Gisenyi). A chaque chef-lieu de S/Préfecture se trouve chaque fois un camp militaire de l’APR. L’espace qui sépare tous ces endroits est truffé de “barrières” tenues tantôt par des militaires en tenue tantôt par des hommes en civil. On n’imagine difficilement les “infiltrés hutu” en train d’opérer dans cette région “tellement surpeuplée” et où les habitations sont distantes de 20 à 50 mètres sans forêts où se cacher.
2) La vie sociale et professionnelle de la Directrice belge assassinée:
Mlle Griet BOSMAN, 62 ans, est arrivée à Muramba dans les années 1960 où elle a vécu sans interruption. D’abord professeur, elle devint très vite la Directrice de l’ENP. Après quelques mois de repos en Belgique à la suite de la Tragédie rwandaise d’avril 1994, elle rejoignit ses élèves dans les camps de réfugiés à Goma (Zaïre) où elle s’occupa en plus des orphelins. Les conditions difficiles des camps ont détérioré sa santé et l’ont ensuite obligé de revenir prendre un petit repos en Belgique avant qu’elle ne reparte à Muramba pour remettre sur pied l’Ecole secondaire dont elle s’occupait, avec l’aide très précieuse de sa collègue DENISE (économe de l’ENP). Mlle Griet, qui parlait parfaitement le Kinyarwanda et circulait à pied dans les environs de l’Ecole, était une personne très engagée dans la défense des paysans de la région. Elle représentait presque l’unique soutien moral et matériel des populations démunies ou menacées de la région. Les habitants l’appelaient et la traitaient comme leur “grand-mère”.
Connue et appréciée par la population, elle avait toujours essayé de la défendre et d’appeler au secours chaque fois que la situation l’exigeait. Quand tous les expatriés ont dû quitter la région suite aux agressions dirigées contre les coopérants, les observateurs étrangers et les ONG étrangères, Mlles Griet et Denise furent les rares expatriés qui soient restés avec la population. Griet participait aux réunions communales et sous-préfectorales au cours desquelles elle n’hésitait pas à dénoncer les exactions commises par les militaires de l’APR dans la région de Muramba. Elle osait mettre en question le comportement de certains militaires qui venaient souvent “en commandos” pour terroriser et tuer les gens “en simulant les soi-disant attaques d’Interahamwe. Les victimes de ces commandos étaient souvent des jeunes gens hutu, qui n’ont jamais quitté leur région depuis longtemps et que Griet connaissait très bien. Elle était aussi inquiétée par les nombreux cas de viol commis par les militaires. C’est suite à ces viols qu’elle avait amené les veuves et jeunes filles de la région dormir dans son Ecole pour les protéger. Elle aidait les réfugiés qui sont rentrés “certains dans un état tel que nous doutions de leur survie le lendemain” disait-elle en janvier 1997.
En Janvier 1997, quand elle est revenue en Belgique, elle a crié son indignation devant les massacres et assassinats dirigés contre la population hutu, sous prétexte de pourchasser des “infiltrés hutu”. Concernant les pratiques du FPR, elle n’hésitait pas à déclarer aux autorités militaires et civiles “que leurs méthodes d’intimidation (massacres, emprisonnements arbitraires, enlèvements, etc…) ne ramèneront pas la paix au Rwanda”. Elle a cité le cas d’un Commandant du Camp militaire de l’APR basé à NGORORERO, qui organisait des vols chez les commerçants, des viols, et des massacres; les victimes étant tous des hutus. Grâce à l’intervention de Griet Bosmans, ce Major fut muté à Butare au lieu d’être jugé et sanctionné pour ses méfaits! Elle a tenté de visiter à plusieurs reprises les prisonniers mais sans succès, les militaires s’y opposaient en déclarant “qu’il n’y a pas de prisonniers, mais des gens à éduquer”
3) Voici les antécédents: Massacres, assassinats, répressions meurtrières, etc…
Depuis la reprise de la guerre d’Avril à Juillet 1994, chaque fois que les extrémistes tutsi voulaient “massacrer des hutus” dans une région donnée, ils invoquaient “la présence des miliciens ou soldats hutu” pour procéder à des opérations meurtrières de ratissage, au cours desquelles des paysans innocents hutus (vieillards femmes et enfants) ont été pris pour cible et tués. Depuis la victoire du FPR jusqu’aujourd’hui, la formule de la “présence des miliciens” (qui n’avaient pas pu fuir) a été remplacé par celle des “infiltrés hutus” (qui viendraient des camps de réfugiés du Zaïre). Tous les moyens étant bons pour “se débarrasser des ennemis hutus”, les extrémistes tutsi n’ont pas hésité à lancer leurs escadrons de la mort et milices tutsi contre “des rescapés et anciens exilés tutsi” pour arriver à des objectifs suivants:
– “frapper vrai et jouer un jeu cynique” pour mieux fanatiser et persuader les tutsis de l’existence réelle d’un “péril hutu” et continuer ainsi à “souder la fragile unité des tutsis”;
– désinformer, intoxiquer la Communauté nationale et internationale et convaincre ainsi les Observateurs internationaux “que les infiltrés hutus existent” puisqu’ils massacrent des tutsi et pire encore “qu’ils reviennent achever le génocide en exterminant les rescapés tutsi”;
– pouvoir entretenir une “insécurité généralisée” dont ils ont besoin pour “piller” le pays. Cette insécurité leur permet de mener “une véritable répression officieuse permanente” contre n’importe quel citoyen (propriétaires légitimes, opposants politiques, défenseurs des droits humains, journalistes indépendants, magistrats et autres citoyens qui osent critiquer).
– maintenir “un climat de terreur permanent” qui leur permet “d’implanter leur dictature” (en noyautant toutes les Institutions de l’Etat), s’assurer l’impunité (en instituant le squattage des biens d’autrui, l’arbitraire et l’injustice” qui leur permettent de jouir du “pouvoir et de l’avoir”;
Des escadrons de la mort tutsis n’ont jamais cessé d’attaquer et massacrer la population dans cette région depuis Juin 1996 après l’expulsion des témoins gênants: les ONGS et la MINUAR II :
– Dans la nuit du 28 au 29 juin 1996, 28 personnes (dont des rescapés et rapatriés tutsis) ont été massacrées par un “escadron de la mort” dans le secteur Nyamugeyo, commune Giciye de la S/Préfecture KABAYA (Gisenyi) lorsque le Colonel NGOGA y introduisit la formule des “infiltrés hutu” pour la première fois afin de justifier les massacres des hutus du nord.
– Du 4/07/96 au 12/08/96, l’APR a mené des “opérations de représailles injustifiées” dénoncées et condamnées par Human Rights Watch, FIDH et AMNESTY International comme suit:
a) Le 26/07/96, ces organisations ont condamné les massacres de 132 civils par l’APR dans les communes Ramba, Giciye, Karago (Gisenyi), NYAMUTERA (Ruhengeri) et RUSHASHI (Kigali-Rural). b) Le 12/08/96, AMNESTY a dénoncé et condamné les massacres et autres tueries de l’APR et des “groupes d’opposition” qui ont fait plus de 650 morts civils sans armes (dont des femmes et des enfants) entre avril et juillet 1996 dont beaucoup de victimes du Nord.
– Le 21/07/1977 à 20h30, des militaires non identifiés ont massacrés 10 membres de la belle famille du Colonel HAKIZIMANA Stanislas (ex-FAR) y compris lui-même, sa femme et ses enfants, ainsi que 12 voisins (témoins) du secteur Rucano à MURAMBA, commune Satinsyi.
Conclusions: Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda est convaincue que Mlle Griet et les 21 autres personnes dont ses élèves ont été assassinées par un escadron de la mort issu des milieux extrémistes tutsi pour plusieurs raisons dont les principales sont:
– Mlle Griet BOSMANS représentait le dernier rempart protecteur de la population locale en tant qu’observatrice étrangère qui s’obstinait à rester au sein d’une population “déjà condamnée à mort” par le “Pouvoir occulte” des extrémistes tutsi qui ont entrepris un vaste et “discret génocide” contre les rescapés et réfugiés rapatriés hutu. Pour justifier la répression aveugle et meurtrière de l’APR, leurs “escadrons de la mort et milices tutsi” s’infiltrent impunément dans la population pour “simuler les attaques attribuées aux infiltrés hutus”
-Les attaques contre les écoles secondaires sont surtout destinées à préparer l’opinion publique nationale et internationale à accepter les massacres dirigés contre des hutus qui sont opérés par l’APR, lors de ses nombreuses opérations injustifiées “dites de ratissage”. Comme les extrémistes tutsi sont décidés d’exterminer petit à petit, et “le plus légalement possible”, les hutus jusqu’au moment où ils deviendront “minoritaires”, la formule des “infiltrés hutus” continuera à être exploitée indéfiniment et les détentions arbitraires continueront.
– Le cas de Griet rappelle les assassinats des 3 coopérants espagnols (18/01/97 à Ruhengeri), des deux prêtres canadiens Claude SIMARD (tué à Butare le 17/10/94) et Guy PINARD (tué à Ruhengeri le 2/2/97, de l’archevêque de Bukavu Munzihirwa (tué le 29/10/96 à Bukavu), des quatres frères maristes espagnols tués dans le camp de réfugiés rwandais à Nyamirangwe dans le Sud-Kivu au Zaïre le 31/10/1996, et bien d’autres tués pour leur engagement dans la défense des populations menacées. Le commando de Muramba avait pour mission de tuer le dernier témoin-rempart qu’était Mlle Griet. Le massacre des élèves fut une “diversion”.
Fait à Bruxelles, le 20 Mai 1997
Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur