Catégories
1996 - 2000 COMMUNIQUES Kigali - Gitarama TOUS Violences sur la population

Com038/1998 : Massacre de dizaines de civils par l’APR qui l’attribue aux « infiltrés »

Dans la nuit du 12 au 13/07/1998, des hommes armés et en tenue militaire ont attaqué et tué plusieurs dizaines de personnes à l’Auberge d’accueil « PENSEZ-Y » (Secteur REMERA, Commune TARE, Préfecture KIGALI-Rural).

L’Armée Patriotique Rwandaise massacre plusieurs dizaines de civils non armés et attribue faussement le massacre aux «infiltrés»

Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1998, des hommes armés et en tenue militaire ont attaqué l’Auberge d’accueil « PENSEZ-Y » situé dans le secteur REMERA en commune TARE, préfecture de KIGALI-Rural. Ils ont tué plusieurs dizaines de personnes qui y logeaient ou qui étaient venues assister, à la télévision, à la finale de la Coupe du monde 1998.
           
            Il était environ 20h, lorsque la population environnante a entendu des coups de feu qui se sont intensifiés et se sont arrêtés vers 23 heures. Naturellement, les habitants voisins de l’Auberge n’ont pas pu porter secours aux victimes car les militaires de l’APR leur ont interdit de faire des patrouilles près de la route principale. Aucune intervention immédiate des forces « de sécurité » n’a été faite pendant et après ce massacre bien que cette Auberge se trouve à trois (3) Km d’un campement militaire de l’Armée Patriotique Rwandaise omniprésente dans cette région.

            Six véhicules (y compris la camionnette de la commune RUSHASHI) ainsi qu’une grande partie de l’Auberge « PENSEZ-Y » ont été incendiés. Le chauffeur de ce véhicule communal et neuf (9) autres blessés sont actuellement hospitalisés à l’hôpital de NEMBA (commune Nyarutovu, préfecture Ruhengeri). Le Centre ignore encore le sort de deux (2) militaires de l’APR qui étaient à bord de la camionnette de la commune Rushashi.

            Selon un témoin présent sur les lieux, cette Auberge était habituellement fréquentée par plusieurs habitants de la région et les militaires de l’APR depuis le début du Mundial 1998. Plusieurs témoins et d’autres habitués de l’Auberge « PENSEZ-Y » ont déclaré aux collaborateurs du Centre qu’ils n’avaient pas vu de militaires de l’APR le soir de l’attaque, alors qu’ils avaient assisté à tous les matchs télévisés depuis le début du Mundial 1998. Depuis 1996, ce lieu est très fréquenté par les militaires gouvernementaux qui y prennent des boissons chaque jour.

            Comme pour la plupart des attaques « simulées par l’APR » et attribuées aux « rebelles hutu », cette attaque de l’Auberge PENSEZ-Y a fait plusieurs dizaines de victimes. Le Centre n’a pu identifier que 33 personnes qui s’étaient faites inscrire dans le registre de l’Auberge, ainsi que quelques employés de l’Auberge. Toutes les personnes ont été brûlées vives puis tuées, certaines par balles et d’autres à l’arme blanche. Des témoins affirment que de nombreuses autres victimes n’ont pas été identifiés.

Des témoins affirment que ce massacre a été commis par les soldats de l’APR :
            D’après ses investigations et après avoir effectué des recoupements nécessaires qui lui permettent de mettre en cause des éléments de l’APR, le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda dénonce et condamne ce nouveau massacre que les autorités rwandaises se sont empressés d’attribuer, sans aucune enquête, aux « rebelles hutu ». Trois éléments nous permettent de mettre en cause les « escadrons de la mort » de la Special Branch, une unité secrète de la Directorate Military Intelligence (DMI):
·      Un rescapé de ce massacre a reconnu, parmi les assaillants, un militaire de l’APR qui lui était familier car il est affecté dans une compagnie basée dans cette région;
·      L’absence suspecte des militaires APR, habitués à assister dès le début au Mundial 1998, le soir de la finale de la Coupe du Monde;
·      L’absence d’intervention immédiate des militaires de l’APR, cantonnés à 3 Km de l’Auberge, qui avaient pourtant entendu les coups de feu; puisque ceux-ci ont duré environ 3 heures. Les militaires APR ont accouru le lendemain matin comme le reste de la population civile.
            Selon la propagande des autorités rwandaises, « les assaillants auraient déclaré qu’ils étaient l’Armée du Sauveur, ils auraient chanté et poussé des cris ». En juin 1998, sur cette route reliant Kigali à Ruhengeri, deux camions de la Brasserie rwandaise, BRALIRWA, avaient été incendiés, ainsi qu’un autre véhicule, appartenant sans doute à un particulier.

            La presque totalité des victimes identifiées sont originaires des préfectures du Nord-ouest (Ruhengeri-Gisenyi) du pays. Voici la liste non exhaustive des personnes tuées :
Noms et prénoms                               Commune et préfecture d’origine     Profession
 1.  HABARUGIRA Thomas                Mutura (GISENYI)                              Commerçant
 2.  MUSABYIMANA Julienne            Mutura (GISENYI)                              Commerçante
 3.  NIYIBIZI                                       Nyamugali (RUHENGERI)                   Commerçant
 4.  SEBUHORO Faustin                     Nyarutovu  (RUHENGERI)                  Commerçant
 5.  BICAMAHIRE                              Nyarutovu  (RUHENGERI)                  Commerçant
 6.  NDICUNGUYE Védaste               Giciye  (GISENYI)                               Commerçant
 7.  HABUMUREMYI             Nyarutovu (RUHENGERI)                   Comptable
 8.  UWAMARIYA Immaculée            Nyarutovu (RUHENGERI)                   Enseignante
 9.  HITIYAREMYE Costasie  Nyarutovu (RUHENGERI)                   Etudiante
10. GASHEMA Théogène                   Nkuli  (RUHENGERI)             Technicien
11. HABIMANA Marcel                     Mukingo (RUHENGERI)                     Etudiant
12. TUYIZERE Cyprien                       Mutura (GISENYI)                              Etudiant
13. GADI DJUMA                              Mutura  (GISENYI)                             Chauffeur
14. RWAGASORE François                Kinigi  (RUHENGERI)             Chauffeur
15. MPAKANIYE Hassan                   Karago (GISENYI)                              Chauffeur
16. TWAMBAZEMUNGU                 Nyamutera (RUHENGERI)                  Chauffeur
17. MBARUSHIMANA J.Claude        Karago  (GISENYI)                             Chauffeur
18. NZEYIMANA Célestin                  Nkuli  (RUHENGERI)             Chauffeur
19. SAMVURA Juvénal                       Kinigi  (RUHENGERI)             Chauffeur
20. MVUNABANDI                           Mukingo (RUHENGERI)                     Aide-chauffeur
21. NGERAGEZE                               Nkuli  (RUHENGERI)             Aide-chauffeur
22. KARAKE Schadrack                     Nyarutovu (RUHENGERI)                   Taximan
23. KANIMBA Innocent                     Mutura  (GISENYI)                             Convoyeur taxi
24. AHORUKOMEYE                        Tare  (KIGALI-Rural)              Mécanicien
25. GASIMBIZI Venant                       Shyorongi (KIGALI-Rural)                   Menuisier
26. MULIHANO Félicien                    Nyarutovu (RUHENGERI)                   Cultivateur
27. NDACYAYISENGA Félicien        Tare          (KIGALI-Rural)                  Cultivateur
28. KARANGWA                               Tare  (KIGALI-Rural)              Cultivateur
29. ICYIMANIMPAYE                      Sans autre identification             –
30. AULERIE                                      –           KIGALI-Rural                         Employé de l’ Auberge
31. BEATRICE                                    –           RUHENGERI                          « Pensez-y » 
32. NADINE                                       –           GISENYI                                             « 
33. CELESTIN                                    Cyungo (BYUMBA)                                        « 
            Le Centre rappelle que l’Auberge « PENSEZ-Y » est réputée, bien avant le génocide de 1994, d’être un lieu de rencontre et de logement de nombreux commerçants originaires des préfectures de RUHENGERI et GISENYI. Comme la presque totalité de ces commerçants sont essentiellement des Hutu, il est impensable que cette auberge puisse constituer la cible des « rebelles hutu », alors que tous les hutu sont assimilés à ces rebelles. D’ailleurs dans son discours prononcé lors de l’inhumation des victimes, le Préfet de la préfecture de KIGALI-Rural, Wellars Gasamagera, a recommandé aux paysans de rester vigilants et d’éviter de collaborer avec les rebelles hutus éparpillés à travers la région nord-ouest du pays. « Ce qui est à peu près sûr, c’est que des personnes dans la population faisaient partie de ce coup. Mais pour nous, c’est difficile de dire qui d’entre eux est responsable » a dit le Préfet à l’Agence Reuters. Tout comme les responsables militaires ont l’habitude de le faire, le Préfet affirme, sans aucune enquête, que la population locale a participé à l’attaque.

ANTECEDENTS :
            Le Centre rappelle que ce n’est pas la première fois que l’APR commet des assassinats en commune TARE et les attribue faussement aux infiltrés hutu:
– Le 7 juillet 1996 vers 19h45, le Procureur près le Parquet de Rushashi, Floribert Habinshuti, a été tué avec sa femme et ses deux enfants, ainsi que 13 personnes sur les 14 qui étaient dans son véhicule, dans une embuscade tendu par des éléments de l’APR mais attribué aux infiltrés hutu. Il venait pourtant de partager un verre de bière, à l’Auberge « PENSEZ-Y », avec le Capitaine GAKWERERE (fils naturel du Colonel Steven NDUGUTEYE, nommé Président de la Cour Militaire depuis le 24/04/1997). Ce Capitaine fut mis en cause par des enquêteurs indépendants d’avoir commandité cette tuerie Ce jour-là, les éléments de l’APR ont assassiné au total 18 personnes en une soirée dont le Bourgmestre de la commune RUSHASHI, Vincent Munyandamutsa, qui fut poignardé et tué vers 18h30 à 300 mètres environ du Bureau communal et d’un campement de soldats de l’APR et à 3 Km de son domicile. Ces soldats ont empêché les habitants de secourir leur Bourgmestre agonisant. Ce même dimanche 7/07/96, le Directeur de l’Ecole secondaire de Rwankuba, Laurent Bwanakeye, fut tué avec trois de ses proches collaborateurs dans une autre embuscade tendue à leur véhicule vers 17h30.
– Le 9 février 1997 vers 17h, une dizaine d’hommes armés de fusils et de grenades ont érigé une barrière sur la route Kigali-Ruhengeri en commune TARE. Ce groupe a fait descendre les passagers qui étaient à bord de trois véhicules: une camionnette Daihatsu et deux Minibus RR 0610.A et RR 8743.A. Selon la propagande du régime de Kigali, les attaquants auraient séparé les Hutu et les Tutsi avant de tuer ces derniers. Pourtant les investigations du Centre auprès des rescapés de cette tuerie ont démontré que les assaillants n’ont pas pris le temps ni de parler ni de séparer les voyageurs. Les victimes furent entre autres : Muhirwa Sayidi, Irambona Christine, Ntabana, Harelimana Edison, Uzamushaka Espérance, Mukarwamba Jeanne, Kagigi et 4 personnes qui n’avaient pas été identifiées. Les blessés furent: Gakunzi Rukinisha et Gatoni Emmanuel. Deux autres blessés furent transportés à l’hôpital de NEMBA en commune Nyarutovu, préfecture Ruhengeri pour y être soigné.

Le Centre estime que cette nouvelle tuerie visait à détourner l’attention des médias suite à la publication de deux rapports accablants pour les régimes de Kigali et Kinshasa sur les massacres des réfugiés:

            Le Centre a relevé d’autres tueries et disparitions perpétrées dans la région depuis juillet 1998, juste après la publication le 30 Juin 1998 du Rapport de la Commission d’Enquête des Nations Unies sur les massacres des réfugiés rwandais Hutu au Congo-Kinshasa:

a) En date du 12 juillet 1998 dans l’avant-midi, une camionnette appartenant à l’entrepreneur Jean Baptiste NEMEYE a été arrêtée par des individus soupçonnés d’être des « infiltrés » sur la route Ruhengeri-Gisenyi près du pont qui sépare les communes de Nyamugali (Ruhengeri) et Rushashi (Kigali-Rural). Toutes les personnes à bord ont été tuées et le véhicule incendié. Les victimes de cette attaque sont les suivantes :
                            – GASIMBA (Chauffeur de la camionnette);
                            – KAMANZI, assistant Bourgmestre de Kigombe (Ruhengeri) et son enfant;
                            – quatre (4) militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR).

La stratégie de détourner l’attention des médias et de l’opinion publique:
– A chaque sortie d’un rapport accablant pour le régime de Kigali, l’APR commet des attaques spectaculaires et les autorités rwandaises s’empressent de les attribuer à la « rébellion Hutu ». Ce fut le cas notamment des deux attaques sur le camp de réfugiés congolais de MUDENDE en commune MUTURA, préfecture GISENYI, le 22 août et le 10 décembre 1997.
– En Juin 1998, des attaques attribuées aux « infiltrés hutu » ont ciblé encore des camps de déplacés Tutsi de KINIHIRA (le 8/6/1998) et de NKAMIRA (le 16/6/1998).

RECOMMANDATIONS:  Le Centre demande instamment :

Au Gouvernement Rwandais de :
– ordonner aux troupes gouvernementales d’arrêter les massacres de civils non armés;
– prendre ses responsabilités pour protéger toutes les composantes du peuple rwandais;
– mener des investigations sérieuses pour déterminer l’existence réelle « des infiltrés hutu »;.
– procéder immédiatement au recensement général de la population rwandaise actuelle par un organisme indépendant;
– accepter la mise en place d’une Commission internationale indépendante pour enquêter sur l’ampleur du génocide rwandais qui a frappé aussi bien les tutsi que les hutu depuis 1990.
– Libérer immédiatement et sans condition tous les détenus sans dossiers et la multitude des paysans hutus arrêtés lors des rafles aveugles des militaires extrémistes de l’APR;
– Poursuivre en justice les « Syndicats de délateurs », les « délateurs isolés » ainsi que les Agents de l’Etat impliqués dans les arrestations et détentions arbitraires;
– Identifier et traduire en justice toutes les personnes sur qui pèsent des charges sérieuses de participation au génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et massacres de civils non armés dans toutes les préfectures du pays.
– Laisser la Mission des droits de l’homme de l’ONU poursuivre son travail de surveillance de la situation des droits de l’homme au Rwanda.

Au Gouvernement américain, aux Etats membres de l’Union Européenne et à l’ensemble de la Communauté Internationale de :
– Demander fermement l’extension de la compétence du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et à la création d’un tribunal ad hoc, afin de juger les actes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis au Rwanda et dans l’ex-Zaïre depuis le 1/1/95.
– Promouvoir la primauté du droit en permettant une lutte contre l’impunité, facteur d’instabilité dans la région des grands lacs africains;
– Faire pression pour obliger le gouvernement rwandais et les infiltrés (là où ils existent) à arrêter les massacres de civils non armés et à respecter le droit international humanitaire.
– Conditionner l’aide financière et toute assistance à l’arrêt de ces massacres et autres crimes.
– Arrêter immédiatement toute assistance militaire au Rwanda, tant que ce pays utilise directement ou indirectement cette assistance pour massacrer les populations civiles non armées.
Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur.