Rwanda: S.O.S. KIGALI : Enlèvements et Disparitions, Rafles massives, et enrôlements forcés de civils
Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (*) dénonce et condamne les multiples rafles aveugles de jeunes gens et d’hommes valides dans divers quartiers de la Capitale rwandaise, KIGALI, et dans plusieurs secteurs de la préfecture de KIGALI-Rural, opérées par des éléments de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) et de la Police Urbaine de la préfecture de la Ville de Kigali (P.V.K.).
Des appels désespérés faisant aussi état de disparitions forcées de civils hutu à Kigali parviennent ces derniers jours au Centre. Les autorités civiles, semblent dépassées par les événements et incapables d’assurer la protection de la population civile.
1) Dans la capitale rwandaise, de jeunes gens valides sont victimes de rafles opérées par l’Armée et la Police Urbaine :
Selon les témoignages parvenus au Centre, depuis le mois de juin 1998, des rafles aveugles sont régulièrement opérées dans la capitale rwandaise, KIGALI.
Des milliers de civils sont emmenés de force vers des destinations inconnues.
D’après les témoins oculaires, des militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR), appuyés par des policiers, investissent d’abord des habitations, procèdent à une fouille méthodique, pour ensuite embarquer les hommes valides. Ceux qui possèdent des cartes d’identité et de travail ne sont pas épargnés. Ces rafles commencent aux environs de 4 heures du matin et frappent plusieurs quartiers de la ville de Kigali. Les secteurs les plus touchés sont GATSATA, situé au pied du Mont JALI et à l’extrême Nord de la capitale, sur l’autre rive de la rivière Nyabarongo.
Le 23 août 1998, l’armée a ainsi enlevé 174 personnes dans le secteur GASYATA et les a embarquées vers une destination inconnue.
Le 25 août 1998, une grande rafle a été opérée à nouveau dans les secteurs GATSATA et GISOZI. Le Centre n’a pas encore de données sur le nombre de personnes emmenées. Certains témoins affirment que ces personnes auraient été rassemblées dans le camp de la police urbaine de la préfecture de la Ville de Kigali, sis à REMERA (au nord-est de Kigali).
2) Enlèvements et disparitions forcées des cadres et intellectuels hutu:
On nous signale aussi la disparition, à Kigali, de Mr Ignace KANYABUGOYI, hutu, âgé de 50 ans, Directeur administratif à l’Usine de fabrication de savons SULFO RWANDA. Il a disparu le 21 août 1998 autour de 7h15, alors qu’il se rendait en voiture à son travail.
Un autre agent de Sulfo, Emmanuel TUYIZERE est aussi porté disparu. Ces deux personnes seraient victimes d’un complot du Chef du personnel de SULFO, un certain SEGIKWIYE Modeste, rescapé du génocide de 1994 et ancien militaire de l’APR démobilisé. Il a déclaré que les deux employés de SULFO étaient détenus par la DMI (Directorate of Military Intelligence) et il a été déconseillé à leurs proches de les réclamer sous peine de disparaître à leur tour.
Le cas de Mr Pascal HITIMANA nous est aussi signalé. Ce cadre hutu de 52 ans, Directeur administratif de l’OCIR-Thé (Office de cultures industrielles du Rwanda – Département Thé), a disparu le 21 juillet 1998 alors qu’il se rendait tôt le matin, à son travail. Les faits se sont produits dans le secteur GASOGI, commune RUBUNGO, préfecture de Kigali-rural.
Toujours dans le même secteur GASOGI, un certain Pacifique est porté disparu le 20 juillet 1998, alors qu’il était parti inviter des amis à son mariage. Deux autres jeunes gens ont disparu en juillet 1998 alors qu’ils se rendaient au marché de Mulindi (commune Kanombe).
De nombreuses autres disparitions sont signalées dans le secteur de RUSORORO (Kabuga), toujours dans la préfecture de Kigali-Rural.
Les commanditaires de ces rafles aveugles et qui sont à même de les arrêter sont:
a) Le Colonel Fred IBINGIRA, commandant du Secteur militaire de Kigali-Ville et Kigali-Rural depuis le début de l’année 1997 (condamné à 18 mois de prison ferme pour les massacres de plus de 8.000 déplacés hutu à Kibeho en avril 1995, il a massacré des réfugiés hutu durant la rebellion de Kabila et fut promu Colonel fin juin 1998 sur une proposition du Conseil Supérieur Militaire soumise au Conseil du Gouvernement rwandais le 26 juin 1998).
b) Le Lieutenant NYAMASWA, Directeur de la Police urbaine et officier de l’APR;
c) Le Préfet de la Préfecture de Kigali-Ville, Protais MUSONI (ancien préfet de Kibungo, impliqué dans le génocide et les massacres commis par l’APR et ses milices depuis avril 1994).
Interrogés sur les disparitions, le Lt Nyamaswa et Protais Musoni ont prétendu que les rafles visent à éradiquer l’exode rural et que les victimes de ces rafles sont reconduites dans leurs communes d’origine. Mais depuis juin 1998, aucune des personnes portées disparues n’a été retrouvée dans sa commune d’origine par ses proches ou par des enquêteurs indépendants.
En réalité, certains des jeunes gens enlevés seraient conduits au camp militaire de KAMI (PVK), où ils recevraient une formation militaire de deux jours avant d’être envoyés combattre sur le front en République Démocratique du Congo.
D’autres, en particulier les Hutu, cadres, commerçants, jeunes gens, sont détenus dans des lieux inconnus ou purement et simplement exécutés.
Le Centre rappelle que l’Armée rwandaise, aidée par des milices tutsi, a décimé depuis 1996, plusieurs centaines de milliers de civils non armés (jeunes gens, hommes valides, femmes, enfants et vieillards), dans le Nord-Ouest du Rwanda. Des sources dignes de foi parlent de 100.000 à 250.000 civils non armés tués rien qu’à Gisenyi!! L’Armée rwandaise a étendu ses massacres à GITARAMA, et entend poursuivre cette politique meurtrière dans les préfectures de KIGALI-Ville et KIGALI-Rural, toujours sous prétexte de faire la chasse aux rebelles ou leurs complices naturellement désignés parmi les civils hutu.
Comme à chaque déplacement géographique des lieux de massacres, l’Etat rwandais s’arrange pour chasser au préalable les témoins gênants étrangers. Le renvoi récent de tous les observateurs de l’ONU travaillant pour l’Opération sur le terrain pour les droits de l’homme au Rwanda (HRFOR) est un mauvais signe.
Le Centre a acquis l’intime conviction, suite aux nombreux témoignages recueillis depuis septembre 1996, y compris auprès des plus hautes autorités rwandaises, que ces massacres de civils s’inscrivent dans le cadre d’une politique délibérée, décidée au plus haut niveau de l’Etat par le « pouvoir occulte », constitué autour du Général KAGAME, l’homme fort du régime rwandais. Ce pouvoir parallèle constitué à coté des Institutions officielles, regroupe des extrémistes purs et durs, partisans de la solution finale pour régler la question de la majorité numérique des hutu, perçue par eux comme un problème, pour leur maintien au pouvoir.
3) Des camps de formation idéologique et militaire sont organisés partout dans le pays:
Le Centre dénonce et condamne, par ailleurs, la formation de milices et la distribution d’armes à feu à certains civils tutsi. Des camps de formation sont en effet organisés à l’intention des étudiants de l’Université Nationale du Rwanda, des responsables administratifs locaux (conseillers, responsables de cellules), des militaires retraités ou démobilisés, des enseignants, etc… Ces personnes reçoivent une formation idéologique et militaire.
Le Centre est très inquiet de l’armement des civils et craint une réitération de la tragédie de 1994, compte tenu du fait que les extrémistes qui ont la réalité du pouvoir au Rwanda adoptent les mêmes réflexes d’extermination que les extrémistes hutu.
RECOMMANDATIONS: Le Centre demande instamment :
Au Gouvernement rwandais :
– De mettre fin immédiatement aux rafles de populations civiles, aux enrôlements forcés, à la constitution de milices et à l’armement de populations civiles;
– De mettre fin à la logique génocidaire qui sévit dans le pays et qui a décimé depuis novembre 1996 une grande partie de la population civile non armée des préfectures de RUHENGERI et GISENYI, GITARAMA et se répand à KIGALI-Rural et dans KIGALI-Ville;
– De démanteler le pouvoir occulte qui gangrène toutes les Institutions de l’Etat, de traduire en justice les militaires et les milices responsables des massacres de civils, depuis avril 1994.
Au Conseil de Sécurité de l’ONU, à l’ensemble de la Communauté Internationale, en particulier à l’Union Européenne, les gouvernements belge, français et américain :
– De reconnaître la réalité et l’ampleur des actes de génocide perpétrés par le régime du Général KAGAME, depuis son accession au pouvoir jusqu’à ce jour;
– D’étendre l’extension de la compétence dans le temps du Tribunal pénal international pour le Rwanda, afin de lui permettre de poursuivre les crimes commis après le 31/12/1994 aux Rwanda et dans l’ex-Zaïre (actuellement RDC);
– D’exiger l’arrestation du Général Paul KAGAME et des autres militaires et politiciens rwandais commanditaires et exécutants du génocide perpétré contre les réfugiés hutu dans l’ex-Zaïre, génocide qui s’est poursuivi à l’intérieur du Rwanda, une fois ces réfugiés rentrés au Rwanda et les caméras du monde détournées.
– D’exiger l’arrêt immédiat de l’assistance militaire américaine au Rwanda. Les militaires formés par l’assistance américaine servent directement à l’assassinat de populations civiles non armées tant au Rwanda qu’en République Démocratique du Congo.
– De décréter un embargo sur les armes à destination de toute la région des Grands Lacs;
– De mettre fin à toute assistance financière directe à l’Etat rwandais, un des pays les plus pauvres de la planète, dont plus de la moitié du budget est destinée aux dépenses militaires;
– De privilégier les méthodes d’assistance qui permettent d’atteindre directement les populations civiles rwandaises;
– D’exiger le dialogue entre toutes les parties concernées par la tragédie qui secoue la région des Grands Lacs, sans exclure aucune composante qui a des revendications légitimes, à commencer par le droit à la vie.
Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur
(*) Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda est une association de défense des droits humains basée en Belgique, créée le 18 août 1995. Ses membres sont des militants des droits humains de longue date. Certains ont été actifs au sein d’associations rwandaises de défense des droits humains et ont participé à l’enquête du CLADHO/KANYARWANDA sur le génocide de 1994. Lorsqu’ils ont commencé à enquêter sur les crimes du régime rwandais actuel, ils ont subi des menaces et ont été contraints de s’exiler à l’étranger où ils poursuivent leur engagement en faveur des droits humains.