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Com096/2006 : Le commerçant F. Nsengiyumva victime d’assassinat commandité

Le CLIIR dénonce et condamne l’assassinat d’un commerçant transporteur connu et influent de la ville de Gitarama. Il s’agit de Monsieur Fulgence NSENGIYUMVA.

Assassinat commandité d’un commerçant chrétien par un militaire des Forces Rwandaises de Défense (FRD) 1

«Fulgence, lève-toi et prie. Je vois beaucoup de fusils qui t’attendent. Je vois ton cadavre ». Ces paroles prémonitoires ont été criées toute la nuit par une handicapée mentale du nom de Fortunata, derrière l’enclos de la maison de la victime. Fulgence l’avait conduite plus d’une fois gratuitement à Kibeho, lieu des apparitions de la Vierge Marie. Simple prémonition ou révélation d’un complot capté auprès des commanditaires ? On ne le saura jamais peut-être.
Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR)* dénonce et condamne l’assassinat d’un commerçant transporteur connu et influent de la ville de Gitarama. Il s’agit de Monsieur Fulgence NSENGIYUMVA (49 ans) qui a été assassiné samedi le 16 septembre 2006 autour de 6h00 du matin par un militaire (son grade = private) nommé Jean de Dieu BWANAKWERI. Le meurtre a eu lieu dans une carrière de briques cuites (briqueterie) sise dans la cellule Mpanda, secteur Byimana, district de Ruhango, à environ 4 kilomètres de sa résidence. Il nous est rapporté que, dans le cadre de s’approprier toutes les ressources naturelles et les secteurs générateurs de revenus, cette briqueterie, qui appartenait aux exploitants locaux, a été attribué à une coopérative de militaires démobilisés. Monsieur Fulgence Nsengiyumva avait reçu toutes les autorisations administratives l’autorisant à exercer ce commerce. Il était marié avec Madame Cassilde Kubwimana et père de cinq enfants. Son domicile se trouve devant la Prison centrale et à côté du camp militaire de Gitarama dans le secteur Ruhina dans la ville de Gitarama, district de MUHANGA (ancienne province Gitarama) dans la province du Sud. La mort de ce respectable père de famille a provoqué l’émoi, la douleur et la colère dans la ville de Gitarama, d’autant plus que la victime est issue d’une très grande et vieille famille installée à Ruhina depuis très longtemps et où son père François, surnommé GISUNU, avait formé plusieurs générations de jeunes apprentis chauffeurs et mécaniciens de la région.
Connu pour sa bienveillance et son courage en tant qu’ancien conducteur et exploitant de taxi-minibus dans la capitale rwandaise Kigali, il a été accompagné à sa dernière demeure par une foule nombreuse d’amis, connaissances et collègues de métier qui s’est déplacée pour lui rendre un dernier hommage lors de ses obsèques qui ont eu lieu le lendemain de son assassinat, le dimanche le 17 septembre 2006, dans l’après-midi.
La même foule nombreuse s’est rendue à la messe dimanche le 24 septembre pour la levée de deuil puis au cimetière pour le dépôt de gerbes de fleurs. Au cours d’un moment de recueillement qui a suivi ces cérémonies, le maire du district de Ruhango, Monsieur François BYABARUMWANZI, a pris la parole et a qualifié cet ignoble assassinat d’accident, ce qui a provoqué des grognements désapprobateurs dans l’assistance. Le maire s’est retiré aussitôt avec ses gardes de corps habillés en civils. L’enquête judiciaire a été confiée à l’Officier de la Police Judiciaire (OPJ) KAYITARE du district de Muhanga et au commandant de police de Ruhango, le Superintendant Lambert RUDASINGWA.
Selon la version des faits du commandant de police de Ruhango, Lambert Rudasingwa, telle que restituée par le communiqué de la Ligue des droits de la personne humaine dans la région des Grands Lacs (LDGL) du 19 septembre 2006 : « ces militaires auraient demandé aux jeunes gens qui chargeaient le camion d’arrêter les activités et de s’approcher d’eux. La victime aurait tenté de démarrer le camion et c’est par réaction que ce militaire aurait tiré sans autres procès »2. Le CLIIR a reçu des informations qui démentent cette assertion que le meurtrier a donnée au superintendant Radasingwa. En effet, la victime Fulgence Nsengiyumva n’a pas vu venir les militaires qui ont pris soin de passer derrière le four à briques (Itanura), c’est-à-dire derrière le camion dont la caisse arrière était collée sur le four. Le meurtrier BWANAKWERI s’est dirigé rapidement et directement vers la cabine du camion, l’a ouverte et a directement tué sa victime sans aucune sommation. Monsieur Fulgence récitait son chapelet comme tous les matins car il faisait partie de la Légion de Marie. La prophétie de la handicapée mentale qui lui avait barré le chemin pour l’empêcher de partir ce matin-là, s’est ainsi réalisée.
Le déroulement des faits par ordre chronologique :

  1. Dans la nuit du vendredi 15 au samedi 16 septembre 2006, une handicapée mentale prénommée Fortunata très connue dans la ville de Gitarama, que la victime avait conduite à plusieurs reprises gratuitement à Kibeho, lieu des apparitions de la Vierge Marie, a passé la nuit à crier derrière l’enclos de la résidence de Monsieur Fulgence NSENGIYUMVA. Le message de cette handicapée mentale peut être résumé comme suit : « Fulgence, lève-toi et prie. Je vois beaucoup de fusils qui t’attendent. Je vois ton cadavre ». Le lendemain matin, dès que Fulgence a ouvert le portail de son enclos, l’intéressée s’est couchée devant le camion pour l’empêcher de partir et d’aller au rendez-vous de la mort. Fulgence a dû faire appel à son employé domestique pour l’écarter de force.

  2. D’après un témoin oculaire3, Fulgence a reçu deux coups de fil sur son portable avant de sortir de la ville de Gitarama de la part d’une personne qui ne s’est pas encore fait connaître auprès de la famille. La personne le pressait de se dépêcher alléguant qu’il allait la mettre en retard. La police qui avait confisqué le camion et le téléphone portable de Fulgence après son assassinat les a rendus à la famille du défunt le lundi 18 septembre vers 10 h 30’. Lorsque la famille de Fulgence a voulu relever les deux derniers numéros des appels qu’il avait reçus dans cette matinée du samedi 16 septembre, elle n’a retrouvé que le dernier appel datant de la veille et provenant du téléphone n° 08599659. La famille a essayé d’appeler ce numéro sans succès. Il ne répond plus. Selon des informations fournies par Rwandacell plus tard, ce numéro est celui de François (voir plus loin) qui affirme avoir demandé à Fulgence de lui transporter des briques le matin du crime. Les numéros des deux derniers appels que Fulgence a reçus ce samedi matin fatidique du 16 septembre (entre 5h et 5h30 du matin), c’est-à-dire quelques minutes avant son assassinat par le militaire Bwanakweri, ont été probablement effacés par la police, qui est arrivée rapidement sur les lieux du crime en entendant les coups de feu, pour empêcher ou en tout cas rendre plus difficiles des enquêtes éventuelles indépendantes.

  3. Monsieur Fulgence Nsengiyumva est arrivé à la briqueterie de Mpanda vers 5h du matin et les ouvriers ont commencé à charger les briques dans son camion. Quelque temps après (avant que le camion ne soit rempli), quatre militaires qui prétendaient faire la patrouille de nuit dans la région de Mpanda, sont arrivés près du camion. L’un d’eux, le private Jean de Dieu Bwanakweri, s’est dirigé vers la cabine du camion, a ouvert la porte et a tiré sur Fulgence plusieurs balles qui l’ont tué sur le champ. Fulgence est mort pendant qu’il récitait son chapelet qui lui est resté dans la main. Les ouvriers, qui chargeaient le camion, se sont sauvés dès qu’ils ont entendu les coups de feu. Selon les dires de Monsieur François, un client de Fulgence qui était présent lors du meurtre, mais qui s’est sauvé également, c’était pour lui que Fulgence devait transporter les briques ce matin-là. Lorsqu’un des militaires, qui affirme qu’il «patrouillait » avec le meurtrier Bwanakweri, a demandé à ce dernier ce qu’il allait dire à ses supérieurs pour expliquer son crime, le meurtrier a répondu calmement qu’il savait ce qu’il allait leur raconter. Terrorisé par le bruit du fusil, un jeune ouvrier qui était chargé de compter le nombre de briques à charger dans le camion, est tombé dans le camion. Pendant que, mort de peur, il s’attendait au pire, il a entendu les militaires se disputer sur la conduite à tenir. Il a alors profité d’un moment d’inattention de leur part pour sauter et se sauver. Il est allé se cacher dans les buissons et on ne l’a plus revu. Il en est de même des autres ouvriers qui chargeaient le camion qui ne se sont jamais manifesté auprès de la famille pour présenter leurs condoléances et raconter le déroulement des faits.

  4. Quelques minutes après les coups de feu, le commandant de la police de Ruhango, Lambert RUDASINGWA, est arrivé sur les lieux du crime et s’est fait aider par deux autres personnes qui venaient d’arriver à la briqueterie, pour évacuer le meurtrier et le corps sans vie de Fulgence vers la Brigade judiciaire de Byimana. Avant de quitter la briqueterie, le commandant de police a tenté de déplacer le camion pour des raisons qu’on ignore encore, puis a demandé aux deux civils qui étaient avec de le suivre et de conduire ce camion de Fulgence à la Brigade. Le commandant du secteur militaire de Byimana est également arrivé sur les lieux après les coups de feu.

  5. Le corps de Fulgence Nsengiyumva a été transporté dans la camionnette du commandant de police alors que le meurtrier, encadré par deux autres militaires, a été conduit dans le véhicule des militaires jusqu’à la Brigade judiciaire de Byimana. Dans l’entre-temps, il était toujours-là, manifestement sans aucune inquiétude. Là-bas, des rumeurs affirmaient que le militaire meurtrier serait transféré à l’auditorat militaire.

  6. Lorsque la famille de Fulgence a appris son assassinat, avec quelques proches parents et amis, elle s’est présentée à la Brigade judiciaire pour récupérer le corps de Fulgence.

  7. A leur arrivée, le commandant Rudasingwa les a empêchés de s’approcher du corps qui était exposé comme un vulgaire objet dans le véhicule, afin de le couvrir de draps et le mettre sur le brancard qu’ils avaient apporté. Fous de douleur et de rage devant cette attitude du commandant, la famille et les proches se sont rués de force dans le véhicule de la police, ont mis le corps sur le brancard et l’ont couvert des draps. Devant leur détermination, le commandant a été contraint de les conduire à l’hôpital de Kabgayi. Un médecin, le docteur Joseph NSENGIYUMVA, a extrait les débris de l’impact des balles mais ne les a pas extraites pour ne pas abîmer le cadavre car Fulgence était déjà bel et bien mort.

  8. Le corps a été ensuite conduit au domicile du disparu où la famille, les proches et les amis l’ont veillé jusqu’à l’enterrement le dimanche 17 septembre dans l’après-midi.

  9. Selon un participant à un Conseil de Sécurité tenu par le Maire de Ruhango, François Byabarumwanzi, le 27 septembre 2006, et qui portait sur l’assassinat de Fulgence Nsengiyumva, un démobilisé qui y participait qui se surnomme SHETANI ITUKURA (le Rouge Satan) s’est réjoui très fort de cet assassinat et personne parmi les participants n’a émis un regret si minime soit-il.

  10. Le 4 octobre 2006 a eu lieu la reconstitution des faits sur le lieu même du crime. Selon une personne qui y a assisté dont nous taisons le nom pour ne pas l’exposer, la reconstitution a été dirigée par un agent de l’Auditorat militaire. Il y avait les quatre militaires qui faisaient partie de la patrouille le matin du crime, ainsi que des photographes amenés par l’enquêteur ou la brigade. La reconstitution avait été d’abord annoncée pour le lundi 2 octobre 2006 et la famille avait été convoquée pour y assister. A la dernière minute, elle fut reportée au 4 octobre et il fut signifié à la famille qu’elle ne pouvait pas y assister mais qu’elle devait envoyer le camion. La famille chercha donc un chauffeur qui l’y conduisit. Selon le responsable qui dirigeait la reconstitution, il est apparu que le militaire assassin et le chef de la patrouille (un sergent) ont donné des versions différentes des faits par rapport aux premiers interrogatoires et que leur description de la façon et de l’endroit où ils se trouvaient quand l’assassin a tiré sur Fulgence Nsengiyumva pour, selon eux «éviter qu’il ne les écrase avec son camion», était contradictoire. En clair la reconstitution a été faite par l’assassin et ses compagnons. Ni les ouvriers qui chargeaient les briques, ni les personnes présentes sur le lieu du crime n’y ont été conviées.

Conclusions et interrogations
Au vu des événements que nous venons d’énumérer, l’assassinat de M. Fulgence Nsengiyumva ne parait pas être un accident. Il parait avoir été soigneusement préparé. Nous en voulons pour preuves les faits suivants :

  1. Dans la nuit du 15 septembre, Fulgence avait révélé à son épouse que les ouvriers de la briqueterie l’avaient informé que des militaires étaient à sa recherche depuis plusieurs jours et que à plus de trois reprises, Fulgence et ces militaires avaient failli se croiser.

  2. Des rumeurs persistantes mettent en cause un démobilisé commerçant qui se serait débarrassé par assassinat de concurrents qui le gênaient. Il n’y a jamais eu d’enquêtes.

  3. La disparition du GSM de la victime des appels du matin du 16 septembre qui auraient pu en identifier le ou les auteurs pose problème.

  4. Pourquoi les ouvriers qui ont chargé les briques dans le camion, de même que le jeune homme qui les comptait, ont-ils disparu sans laisser de traces ?

  5. Pourquoi le nommé François, client de Fulgence, qui affirme que la victime devait transporter des briques pour lui, ne s’est-il jamais manifesté, ni à la messe, ni au cimetière, ni lors de la levée de deuil, ni ne s’est jamais présenté à la famille pour présenter ses condoléances ? Ce même François n’avait pas payé à Fulgence le prix du transport de la veille (le 15/09/2006). Quand, après la levée de deuil, la veuve est allée lui demander cet argent, celui-ci a répondu de manière évasive qu’il l’avait payé la veille même.

  6. La nuit de la veille de sa mort, le 15 septembre, comme s’il avait eu un pressentiment, Fulgence avait communiqué à son épouse la liste de ses clients habituels qui étaient Pierre, Ananie, François, Frédéric et d’autres. Il lui avait communiqué aussi les noms des clients qui lui devaient encore de l’argent.

  7. Quelques semaines avant l’assassinat de Fulgence, un cambriolage inhabituel avait frappé la famille. Des voleurs avaient profité du fait qu’il n’y avait personne à la maison pour monter sur le toit, enlever les tuiles, découper le toit et s’introduire dans la maison où ils avaient dérobé des objets de valeur. Manifestement, ces voleurs devaient être des professionnels, et peut-être mêmes des militaires. Quelques jours avant l’assassinat de Fulgence Nsengiyumva, d’autres voleurs – ou les mêmes – avaient dévalisé la boutique de la famille au centre-ville de Gitarama. Y’a-t-il une relation entre ces cambriolages et l’assassinat de Fulgence ?

  8. Le fait que ni la famille, ni les ouvriers qui ont chargé les briques ou les chauffeurs qui étaient présents sur le lieu du crime n’aient encore été interrogés laisse songeur.

  9. On sait qu’au Rwanda, tous les commerçants – ou la grande majorité – ont été enrôlés de force dans le FPR, qu’ils doivent payer une cotisation pour soutenir le parti, qu’ils participent à des réunions secrètes dont il leur est strictement interdit de parler même à leurs familles sous peine d’en payer le prix le plus fort, c’est-à-dire la mort. Fulgence avait-il été aussi recruté ? Participait-il à ces réunions secrètes ? Devait-il payer cette cotisation ? Aurait-il refusé de la payer ou se serait-il élevé contre ces pratiques car on sait qu’il était capable de dire non à l’injustice et à la dictature ? Nous ne le saurons probablement jamais.

En conclusion, le crime peut être un simple crime crapuleux mais également un crime politique. Seule une enquête réellement indépendante pourrait le déterminer.
RECOMMANDATIONS: Le Centre demande instamment:
Au Gouvernement Rwandais de :
– ordonner aux militaires des Forces Rwandaises de Défense (FRD) de cesser les assassinats dont ils se rendent souvent coupables sous prétexte d’assurer la sécurité des citoyens. Eduquer les FRD au respect de la vie humaine, des droits et des libertés publiques.
– prendre ses responsabilités pour protéger les populations contre les meurtres, les abus et le racket commis par les militaires gouvernementaux, la Police et les Local Defense Forces (LDF)
– mener des investigations sérieuses pour déterminer le ou les commanditaires de l’assassinat de Fulgence Nsengiyumva et de les juger ainsi que son meurtrier Jean de Dieu Bwanakweri. Le meurtrier Bwanakweri, qui a avoué son crime, pourra faire aboutir l’enquête rapidement. Il y a lieu aussi d’enquêter auprès de la handicapée mentale qui a tenté d’empêcher le départ de Fulgence.
– organiser un procès équitable et transparent de façon que les commanditaires de l’assassinat de Fulgence ne restent pas impunis comme c’est arrivé dans le procès des meurtriers du Capitaine Théoneste HATEGEKIMANA (Voir le point 3 dans l’annexe sur d’autres crimes).
Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur.
Annexe4 : Assassinats antérieurs
Les assassinats par des militaires n’ont jamais cessé dans la région de Gitarama :
1) Assassinat de HITIMANA Oswald et de son fils HITIMANABonaventure :
En juillet 2004, un autre commerçant nommé HITIMANA Oswald (41 ans) et son fils HITIMANA Bonaventure (un jeune motard de 20 ans) ont été tués par des malfaiteurs armés de fusil aux alentours de 1h du matin. Un autre de ses enfants a reçu une balle dans le pied et est reste estropié (handicapé) pour la vie. Sa femme fut battue par ces malfaiteurs qui lui réclamaient l’argent de la caisse que son mari venait de ramener à la maison. La famille de ce commerçant résidait dans le secteur Shyogwe près du marais de Rugeramigozi dans le district de MUHANGA. Rappelons le déroulement des faits :
Le commerçant Hitimana Oswald avait un café dans la ville de Gitarama et son fils exploitait une moto comme motard à Gitarama. Le cabaretier et son fils avaient l’habitude de rentrer à moto très tard la nuit, suite aux contraintes de leur métier. Le jour où ils ont été assassinés, ils venaient juste de rentrer lorsque quelqu’un a toqué sur le portail de l’enclos familial. C’est le fils Bonaventure qui alla voir ce visiteur nocturne. Arrivé sur le portail il fut abattu sur le champ d’une balle. Lorsqu’il entendit ce coup de feu, le père Oswald se précipita dehors pour secourir son fils. Il fut abattu à son tour par balles. Un des enfants de cette famille qui regardait la scène à travers la fenêtre put reconnaître un nommé GASONGO parmi les malfaiteurs. Gasongo était un membre de la Local Defense Forces (LDF), une sorte de milice armée dispersée sur toutes les collines du Rwanda.
Les militaires, qui ont entendu les coups de feu, sont arrivés tout de suite sur les lieux et se sont mis à rechercher activement le suspect Gasongo. Ils sont allés d’abord au Centre culturel de Gitarama où le suspect travaillait comme gardien de nuit. Ne l’ayant pas trouvé à son poste, les militaires sont allés ensuite à son domicile où ils sont arrivés en même temps que lui. Ce dernier n’a pas pu présenter un alibi valable et il fut arrêté et emprisonné. Quelques jours plus tard, l’on a appris que le détenu Gasongo a été abattu par des militaires parce qu’il avait tenté, paraît-il, de s’évader au moment où il devait aller leur montrer la cachette d’un fusil qu’il aurait subtilisé.
La population de Gitarama n’a jamais accepté cette version des faits. Elle continue de soupçonner que GASONGO a été abattu comme un témoin gênant pour qu’il ne puisse jamais dévoiler ses complices (probablement des militaires) au cours de son procès pour ce double meurtre.
2) Assassinat de Monsieur Léon Pasteur RAMBA, agent de la COFORWA :
Le 29 décembre 2003, RAMBA Léon Pasteur (40 ans), agent de Coforwa (Compagnons fontainiers rwandais), une ONG rwandaise oeuvrant dans l’hydraulique rural, a été tué dans la nuit du 29 au 30 décembre 2003, fusillé par deux hommes armés en uniforme militaire.
Voici les circonstances de l’assassinat de RAMBA Léon Pasteur :
La journée du 29 décembre 2003

  • La journée, quelques agents de Coforwa sont au parc national de l’Akagera (Rwanda). Ramba Léon Pasteur est avec eux, en compagnie de ses fils Blaise et Fiacre. Ce voyage est à charge de Coforwa.

  • Vers 20H00, ils (les agents de Coforwa) arrivent à Kigali, de retour du parc de l’Akagera.

  • 21H00, ils arrivent à la gare routière de Gitarama.

  • Vers 22H00, ils se sont rendus à Gahogo (quartier de Gitarama-ville) pour une réception. L’idée de cette réception tardive émane des représentants de Coforwa Stany Munyangaju et Norbert Habinshuti, respectivement représentant légal et secrétaire de coordination. Notons que les relations entre ces deux dirigeants et Ramba Léon Pasteur sont exécrables.

Le 30/12/03 (après minuit)

  • Vers 1H00 du matin, les agents de Coforwa commencent à monter dans leurs véhicules.

  • Entre-temps, le major Richard Wembo arrive seul à bord d’un véhicule sans escorte contrairement à l’habitude. Cet officier de l’armée patriotique rwandaise, ami personnel de Norbert Habinshuti, commandait les forces armées postées dans le district de Ndiza, là où il y a le siège de Coforwa. Il achète une bouteille d’Uganda Warage (sorte de liqueur aussi ou plus forte que Johnny Walker) et demande aux agents de Coforwa la route qu’ils vont prendre pour rentrer. Ce major est surexcité.

  • Quelque temps après, c’est le départ des véhicules vers Nyakabanda. Nyakabanda est à quelque 57 kms de Gitarama. En tout, trois véhicules font le convoi. Le premier prend le départ et 10 minutes après le second le suivent. C’est dans ce dernier que se trouve Ramba Léon Pasteur.

Vers 2H00 du matin (l’assassinat)

  • Arrivés à une dizaine de kilomètres de la ville de Gitarama (district de Muhanga), des agents de Coforwa du deuxième véhicule constatent que le premier a été stoppé. Le chauffeur a été couché par terre. Ceux qui ont arrêté le premier véhicule le laissent et viennent au second. Ramba Léon Pasteur est à bord de celui-ci.

  • Deux hommes (un en tenue militaire, l’autre en mi-tenue militaire) armés de kalachnikov arrêtent le deuxième véhicule. Ils confisquent le téléphone portable du chauffeur et les clés du véhicule. Ils demandent de l’argent.

  • A ce moment, le téléphone portable de Ramba Léon Pasteur sonne. Au moment où il va le prendre, l’appel est coupé. Un des militaires descend Ramba Léon Pasteur du véhicule, le frappe par des coups de crosse de fusil et par des coups de pied. On le fait asseoir par terre.

  • Quelque temps après, toujours sous les coups, Ramba Léon Pasteur pousse un dernier cri à l’aide en appelant un des compagnons prénommé Papias. Trop tard, il vient d’être criblé de trois balles.

  • Un moment passe, le meurtrier demande à son compagnon (le deuxième militaire) une lampe-torche, examine le corps Ramba Léon Pasteur, fouille dans ses poches et tire sur lui une autre balle (la quatrième).

  • Après cet acte, les meurtriers semblent détendus. Ils deviennent loquaces et disent entre autres que sont surpris ceux qui ne comprennent pas le sens de cette opération.

  • Les deux fils de Ramba Léon Pasteur (tous âgés de moins de 12 ans) sortent du véhicule pour venir voir ce qui vient de se passer. Cyniquement, les meurtriers leur disent : « Nta shida musubire mu modoka » (Il n’y a pas de problème, retournez dans le véhicule).

  • Entre-temps, le troisième véhicule des agents de Coforwa approche. Les meurtriers dégagent la route et s’enfuient.

3) L’assassinat du Capitaine Théoneste HATEGEKIMANA par des militaires
a) En date du 24 octobre 1997, un peu avant 19h, le Capitaine HATEGEKIMANA Théoneste Commandant du Groupement de Gendarmerie Gitarama-Kibuye, et son garde de corps ont été tués par des militaires dans la vallée de RUGERAMIGOZI à quelques kilomètres de son bureau de Gitarama qu’il venait de quitter. C’est un ancien militaire des Forces Armées Rwandaises (ex-FAR) qui avait été intégré dans l’APR tout juste après la défaite des FAR en juillet 1994. Le 6 juin 1997, le Capitaine Théoneste avait échappé à la mort lorsqu’il tomba dans une embuscade tendue par des éléments de l’APR, près du Centre culturel dans la ville même de Gitarama, non loin de sa résidence. Il s’en sortit avec une blessure à la main alors qu’il avait essuyé plus d’une quinzaine de coups de feu.
Le 31 octobre 1997, un procès a été ouvert contre les militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) présumés auteurs de cet assassinat. Il s’agit de :
– Capitaine RUZIBIZA James, Commandant Adjoint de Gendarmerie Gitarama-Kibuye
– Lieutenant GAKUBA Théodore, Chef de la Brigade Nyamabuye (Gitarama)
– Sergent NDANGIZA Aboubacar
– Premier Sergent KATABARWA Richard
– Soldat KAMI MUTANGANA
– Soldat MFIZI MUHIRWA
– Soldat GAKIRE Ernest
– Soldat BISHOGO Isidore
Lors de ce procès du 31 octobre, les accusés ont déclaré n’avoir pas eu assez de temps pour préparer leur défense et le procès a été reporté au 6 novembre 1997. Lors de leur procès du 6/11/1997, l’Auditeur militaire a demandé la peine capitale, avant que l’avocat de la défense ne requiert qu’une peine d’un an de prison invoquant le témoignage des accusés, selon lequel le Capitaine assassiné « trahissait le pays »!
Le jugement est tombé le 20 novembre, les quatre officiers soupçonnés d’avoir commandité cet assassinat, ont été acquittés, tandis que les quatre soldats ont été condamnés à la prison à vie. L’Auditeur militaire le Capitaine Joseph Nzabamwita, a regretté ce verdict. Il n’a pas commenté l’acquittement des officiers mais a estimé avoir apporté les preuves de leur implication.
4) D’autres assassinats attribués aux militaires APR ont déjà eu lieu dans Gitarama:
– Le 27 juillet 1995, le S/Préfet KOLONI Placide, son épouse, ses deux filles et sa domestique avaient été assassinés et brûlés à Ruhango dans leur maison située entre un camp militaire de l’APR et un détachement de la MINUAR (Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda);
– Le 11 juillet 1996, le Bourgmestre de Nyabikenke, Elie DUSABUMUREMYI a été agressé, enlevé et porté disparu lorsqu’il tomba dans une ambuscade tendue par deux véhicules de l’APR. Le S/Préfet de Kiyumba, Zimulinda fut soupçonné d’avoir commandité cet attentat, après avoir incité les rescapés tutsis à fuir leurs maisons par des « tracts ».
– Le 1er novembre 1996, cinq habitants du secteur Kagarama, commune Mushubati ont été tués dans la soirée au petit centre de négoce de Kagarama par des malfaiteurs non identifiés à coups de fusil et de houe usagée. Cette attaque a fait en outre une vingtaine de blessés.
– Le 23 décembre 1996 autour de 19h, 11 personnes ont été tuées par balles dans la cellule Kazirabonde, secteur Karangara (ancienne commune Taba). Radio-Rwanda a incriminé les « infiltrés »
– Le 5 janvier 1997 vers 21h, neuf (9) personnes de la famille BAJYAGAHE Philippe ont été tuées dans la même cellule Kazirabonde (Taba). Radio-Rwanda a incriminé les « infiltrés ».
– Le 7 janvier 1997 vers 19h, cinq personnes ont été tuées par grenade et objets contondants  chez MINANI dans la cellule Rugali, secteur Ruyenzi, commune RUNDA. Un militaire APR (qui vivait au camp Kanombe) fut attrapé alors qu’il accompagnait ces tueurs.
– Le 4 juillet 1997, trois personnes ont été tuées en commune Mushubati, près de Gitarama
Le 5 juillet 1997, seize (16) personnes ont été massacrées en commune Nyakabanda par des éléments de l’APR mais que la Radio nationale a présenté comme « des infiltrés hutus ». En effet, deux familles hutues ont été massacrées ainsi que leurs voisins ou amis qui étaient présents lorsqu’ils furent attaqués par des militaires APR.
a) Mr MUSABYIMANA Théogène, Directeur de l’école secondaire privée “La Fraternité de Ndiza”, tué avec toute sa famille et d’autres personnes venues à leurs secours.
b) Mr NKUNDABATWARE Jean-Baptiste, Coordinateur de l’A.S.B.L. “Compagnons Fontainiers Rwandais (COFORWA) tué lui aussi avec sa femme et ses cinq enfants.
c) Mr SEBAZUNGU Sylvestre, Inspecteur des Ecoles primaires de Nyakabanda.
d) Un certain SEBAZUNGU, un ami qui accompagnait Sylvestre Sebazungu et qui venait d’assister à des noces chez le nommé Musabyimana Théogène.
– Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1997, dix (10) personnes ont été tuées dans deux familles dans le Secteur Bimomwe, commune MUSAMBIRA. Les tueurs étaient en tenue militaire.
– Dans la nuit du 14 août 1997 vers 22h, cinq familles, résidant dans le secteur SHAKI commune NYAKABANDA, ont été attaquées à l’arme blanche en même temps par des éléments non identifiés. Bilan : 5 morts dont quatre femmes.
– Entre le 19 et le 21 août 1997, trois personnes ont été tuées par les soldats de l’APR dans le secteur NGARU, commune NYAKABANDA. Il s’agit de Messieurs:
– Mr Baranzambiye tué le 19 août sous prétexte qu’il n’avait pas de carte d’identité alors qu’il était en train de cultiver son champ.
– Mr Sebabirigi tué le 20 août chez lui à la maison.
– Mr Hatungimana Désiré tué le 21 août. Soupçonné d’être complice des infiltrés parce qu’il avait refusé d’être un Nyumbakumi (responsable de 10 maisons).
– Dans la nuit du 9 au 10 décembre 1997, vers 20h, la famille MUSAFILI a été exterminée. MUSAFILI a été tué avec son épouse, ses enfants et un surnommé KINYARUTOKI. Selon les informations qui nous sont parvenues, ce dernier aurait quitté un petit centre de négoce appelé RUTONGO, sur la route il a rencontré les militaires de l’APR venant de la commune RUTOBWE. Les militaires lui ont demandé d’aller leur montrer chez MUSAFILI. Il les y a conduits, et l’ont obligé d’appeler MUSAFILI en évitant de dire qu’il était avec des militaires. Comme il avait pris un verre de bière, il l’a appelé en lui demandant d’ouvrir mais en ajoutant qu’il était avec les militaires. Ces derniers, furieux d’entendre qu’ils venaient de les dénoncer, ils lui ont tiré dessus en obligeant directement MUSAFILI d’ouvrir sans quoi ils allaient défoncer la porte. D’un coup, ils ont forcé la porte et abattu toutes les personnes qui se trouvaient à l’intérieur de la maison
– Le 6 janvier 1998, 40 personnes ont été massacrées dans la préfecture de GITARAMA:
. 26 habitants ont été tués dans la commune NYAKABANDA;
. 14 habitants ont été tués à RONGI en commune NYABIKENKE.
Selon Radio-Rwanda, ces crimes auraient été attribués aux « infiltrés hutu » mais des témoins locaux accusent des éléments de l’APR qui mènent des raids meurtriers contre la population.
Le 6 mars 1998, deux familles hutu ont été massacrées dans le secteur MARA, commune RUTOBWE.
– Dans la nuit du 8 au 9 mars 1998, la mère de l’ancien Député RUHABURA Ladislas et 8 autres personnes de la même famille ont été tuées dans la localité de MURARA (Centre de négoce) dans la commune RUTOBWE
– Entre le 9 et le 13 mars 1998, plusieurs habitants du Secteur CYUBI, commune RUTOBWE ont été massacrés par les militaires de l’APR en dehors des combats.
Le 15 mars 1998, les soldats de l’APR ont tué des habitants suivants à NYABIKENKE:
Mr KIMANA, sa femme et ses enfants ont été tués chez eux la nuit;
– Mr KABATSI Melchior (60 ans) a été tué dans le Secteur Mugunga, en commune NYABIKENKE. Son fils RUKABYANKUBITO Martin, professeur à l’Ecole normale primaire de Nyabikenke, avait été tué en février 1997 par les militaires de l’APR. Il avait été arrêté détenu arbitrairement au cachot de la S/Préfecture Kiyumba. Les militaires l’ont abattu froidement un jour qu’ils lui avaient ordonné d’aller puiser de l’eau, sous un faux prétexte qu’il tentait de s’évader.
– Lundi 16 août 1998 vers 19h, quatorze (14) personnes ont été tuées dans le secteur Nyamagana, commune TAMBWE, préfecture Gitarama. Selon les informations recueillis auprès du bourgmestre de la commune Tambwe, les assassins sont venus à la Paroisse de Nyamagana tout près des logements des pasteurs KARAMAGE Joseph et GASANA Emmanuel. Ils ont ordonné au veilleur de la paroisse d’appeler le Pasteur KARAMAGE et de lui demander d’ouvrir la porte. Le veilleur, terrorisé a tout de suite exécuté l’ordre des assassins. Aussitôt que le Pasteur Karamage a ouvert la porte et il a été pris par les malfaiteurs qui l’ont obligé, à son tour, d’aller faire ouvrir la maison de son collègue le pasteur GASANA Emmanuel.
Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur.
Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda est une association de défense des droits humains basée en Belgique, créée le 18 août 1995. Ses membres sont des militants des droits humains de longue date. Certains ont été actifs au sein d’associations rwandaises de défense des droits humains et ont participé à l’enquête CLADHO/Kanyarwanda sur le génocide de 1994. Lorsqu’ils ont commencé à enquêter sur les crimes du régime rwandais actuel, ils ont subi des menaces et ont été contraints de s’exiler à l’étranger où ils poursuivent leur engagement en faveur des droits humains.
1
Ce communiqué est le fruit d’un recoupement des informations récoltées auprès de plusieurs sources différentes.
2
Elisabeth Mukajambo, LDGL, «Fulgence Nsengiyumva, assassiné dans la matinée du 16/09/2006 en district de Ruhango», Kigali, 19 septembre 2006, 1 p.

3 Nous taisons son nom pour ne pas mettre sa vie en danger
4 Dans les pages qui suivent, nous rappelons quelques cas d’assassinats qui n’ont jamais été élucidés pour montrer que malheureusement M. Fulgence Nsengiyumva n’est pas le premier ni probablement pas le dernier.