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QUINZAINE DE LUTTE CONTRE LA CULTURE DU MENSONGE, DE L’INJUSTICE ET DE L’IMPUNITÉ AU RWANDA (#6 Épuration et contrôle de la magistrature)

Malgré le besoin criant en personnel judiciaire, le FPR s’est efforcé, après la prise du pouvoir en 1994, à mettre en place un appareil judiciaire qui lui soit favorable pour institutionnaliser l’impunité de ses chefs criminels

QUINZAINE DE LUTTE CONTRE LA CULTURE DU MENSONGE, DE L’INJUSTICE ET DE L’IMPUNITE AU RWANDA

"Le mensonge donne des fleurs, jamais des fruits"

Le 07 décembre 2014

#6 Epuration et contrôle de la magistrature

Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR) n’a jamais cessé de dénoncer et condamner l’épuration ethnique de la Magistrature Rwandaise. Dans la mesure où le régime de Kigali reste dominé, gangrené et paralysé par le “pouvoir occulte” ou le “gouvernement parallèle” des chefs militaires et politiques du Front Patriotique Rwandais (FPR), il porte la responsabilité des conséquences de cette épuration ethnique qui ne peut que “favoriser et institutionnaliser” l’Impunité au Rwanda. En effet, suite à leur part de responsabilité dans le génocide rwandais et au volume impressionnant des crimes qu’ils ont continué de commettre depuis leur victoire en juillet 1994, ils n’avaient plus d’autres choix que de s’assurer l’impunité dont ils ont besoin, par la mise en place d’un Système judiciaire parfaitement contrôlable et qui leur est totalement dévoué. Pour ce faire, ils ont assassiné, fait disparaître et/ou emprisonné illégalement et arbitrairement plusieurs magistrats hutu courageux et honnêtes.

De tous les magistrats qui ont résisté au régime FPR ou ceux qui ont pris les risques de remettre en liberté des détenus qui n’avaient aucun dossier d’instruction, il y a des magistrats courageux dont les noms seront retenus dans les annales historiques du Rwanda. Il s’agit de :

          Le Substitut Silas MUNYAGISHALI était Procureur a.i. auprès du Parquet de Kigali. Il a été condamné à mort et fusillé au stade de Kigali le 24 avril 1998 pour des crimes qu’il n’a jamais commis. Le général Paul Kagame voulait donner un signal fort à tous les magistrats qui se croiraient indépendants sous son règne.

          Le Président du Conseil d’Etat, Vincent NKEZABAGANWA, a été assassiné chez lui dans la soirée du 14 février 1997 à Gisozi (Kigali-ville) par des hommes armés en tenue militaire. Il s’était opposé au projet de loi qui autorisait la détention préventive indéfiniment et arbitrairement. Après son assassinat la loi fut adoptée, il n’y avait plus d’obstacles. Il a été tué en même temps avec trois autres personnes qui étaient chez lui, à savoir:

o   Ngoga Alphonse, agent au Bureau du Premier Ministre Rwandais.

o  Gasana, chauffeur au Ministère du Commerce qui venait laisser son véhicule chez lui.

o Kamali “alias Rubare” qui était gardien de nuit de Vincent Nkezabaganwa. 

Les militaires de l’APR, qui sont intervenus tardivement et qui se sont proposés de le conduire à l’hôpital, ont dû l’achever parce qu’il n’avait pas été gravement blessé. Il avait été touché à la cuisse, au bras et légèrement sur le ventre près des côtes. Quand sa femme se rendit quelques instants plus tard au Centre hospitalier de Kigali, elle fut très surprise d’apprendre que son mari est mort et que le corps se trouvait déjà à la morgue. Elle a constaté que le cadavre de son mari était tout nu et qu’il avait été fendu à la hauteur de la poitrine. Quand elle a réclamé les habits que son mari portait, elle n’a pas pu les obtenir jusqu’à ce jour.

      Le Président de la Chambre du Conseil du Tribunal de Première Instance de Kigali,  le juge Gratien RUHORAHOZA, jeune magistrat sorti quelques années auparavant de l’Ecole Nationale de la Magistrature de Paris (France) disparaissait suite à son enlèvement par des éléments en tenue militaire qui l’ont pris chez lui vers 23 heures.

          Le Chef du Parquet de Rushashi, le Substitut du Procureur Floribert HABINSHUTI a été assassiné avec sa femme et ses deux enfants dans la soirée du 07 juillet 1996 dans une embuscade tendue par les militaires du FPR sous le commandement du capitaine Francis GAKWERERE. Ce dernier est réapparu récemment au Mozambique dans le processus de la tentative d’assassinat du général KAYUMBA Nyamwasa à partir de 2010.

          L’ancien Président de la Cour de Cassation et Vice-Président de la Cour Suprême du Rwanda, le Lieutenant Colonel Augustin CYIZA fut enlevé le 23 avril 2003 dans la ville de Kigali par plusieurs voitures de la DMI et de la Police Nationale. Depuis cette date, il a disparu sans laisser des traces et la police rwandaise s’est efforcée d’intoxiquer l’opinion publique nationale et internationale en prétendant qu’il est allé rejoindre les milices hutus qui survivent encore dans les forêts congolaises.

          Le Juge Jariel RUTAREMARA est un ancien Président du Tribunal de Première Instance de Kigali lors du procès de Mgr Augustin MISAGO, évêque de Gikongoro qui a été emprisonné le 14/02/1999 dans le cadre de diaboliser les religieux catholiques. A partir du 15 juin 2000, il a été fort menacé après avoir prononcé l’acquittement de ce prélat catholique que le régime Kagame voulait liquider et prouver ainsi que l’Eglise catholique du Rwanda est génocidaire. Ce magistrat tutsi courageux a d’abord été muté au Tribunal de première instance de Gitarama avant d’être obligé de s’exiler en France où il vit actuellement.

          Le Substitut du procureur de la République près le Parquet de Kigali, Edouard KAYIHURA a été licencié pour « désertion » le 28 septembre 2000 car il avait fui le pays. Ce magistrat avait représenté l’accusation dans le procès de l’Evêque catholique de Gikongoro, Mgr Augustin MISAGO et « s’était plaint d’avoir été manipulé dans son dossier indéfendable et vide ». Il a fui suite aux menaces d’assassinat par les agents de la machine à tuer, la Directorate of Military Intelligence (DMI), une sorte de GESTAPO rwandaise impliqué dans de nombreux crimes.

L’épuration ethnique de la Magistrature a commencé en Septembre 1994 lorsque les cris s’élevèrent de partout parce que les personnes élargies par la Chambre du Conseil du Tribunal de Première Instance de Kigali ont été soit assassinées sitôt après avoir été libérées, soit portés disparus ou ont été reprises par des militaires en tenue civile. Certains détenus libérés ont été repris directement devant la prison de Kigali ou ré-arrêtés chez eux par des militaires en uniforme et/ou séquestrés dans les camps militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR).

Plusieurs autres magistrats hutus courageux et honnêtes ont été assassinés un peu partout dans le pays. En voici une petite liste non exhaustive :

Le juge du Tribunal de Canton de la Commune TARE (KIGALI-rural), MAHIRYOLI a été assassiné chez lui dans la nuit du 10 mars 1996. Sa femme, son petit-fils et ses deux domestiques ont été tués en même temps.

Le Président du Tribunal de Canton de la commune RUTONGO (Kigali-rural), Jean Paul MBUGULIZE a été assassiné dans la soirée du 21 janvier 1997 autour de 19 heures. Des personnes armées non identifiées se sont présentées chez lui le soir, l’ont enlevé et le lendemain son cadavre fut trouvé dans la nature par ses enfants.

Le Premier Substitut MUNYANSANGA J.Damascène du Parquet de Kigali a été assassiné par les troupes du Front Patriotique dans leur camp de Kinazi (commune Mugina) en Juillet 1994.

Le Magistrat NIKUZE Bernard, Président a.i. du Tribunal de 1ère Instance de Butare, fut abattu par un "inconnu" devant son domicile dans la soirée du 30 Août 1995 vers 19 heures.

L’Inspecteur de Police Judiciaire de la commune NYAMYUMBA et L’Inspecteur de Police Judiciaire de la commune KANAMA ont été tués dans la journée du 8 août 1997 au Centre de négoce de MAHOKO en commune KANAMA (Gisenyi) où plusieurs centaines de civils ont été tués sur le marché et dans ses environs pendant de prétendus affrontements entre l’APR et un groupe d’hommes et de femmes armés supposés être “des infiltrés hutus”. Ce massacre s’est déroulé en pleine journée du 8 août 1997. C’était le jour du marché et comme d’habitude de nombreuses personnes étaient présentes au marché.

L’Inspecteur de Police Judiciaire Innocent NTAHONDI de la commune KAYOVE fut assassiné le 23 Mars 1996 par des militaires de l’APR (dont un nommé Prudence) à Kayove. Il fut fusillé en compagnie de l’Inspecteur de Police Judiciaire BUSOMOKE qui a survécu et fui la région de Gisenyi pour sa sécurité.

L’Inspecteur de Police Judiciaire Emmanuel NIYONTEZE fut assassiné à Gisenyi début 1996.

L’Inspecteur de la Police Judiciaire de Gishoma, EPAPHRODITE, fut assassiné chez lui dans la nuit du 26 Octobre 1995 en compagnie de trois autres personnes dont le Greffier du Tribunal de Canton de Gishoma. Son domestique qui avait reconnu parfaitement un des agresseurs comme étant un soldat qui faisait partie d’un petit détachement militaire de l’APR situé non loin de là, fut achevé par ces mêmes militaires au moment où les voisins l’évacuaient vers le Centre de Santé de Mushaka. Lors de l’enquête, le petit frère de l’IPJ tué aurait également affirmé que le groupe de militaires qui a attaqué la résidence de l’IPJ faisait bien partie du petit détachement en cantonnement à la commune Gishoma. Les militaires qui procédaient à l’enquête ont refusé de prendre en compte son témoignage, jugé irrecevable, suite à ses liens de parenté avec l’IPJ assassiné.

Mme BAHIZI Valérie était un Agent du Parquet. Elle a été tuée avec 13 personnes dont ses enfants et membres de famille.

La suite des assassinats et des emprisonnements de magistrats est disponible sur sur notre site cliir.org.

D’après le chercheur suisse Grégoire DURUZ[1] : L’ensemble des informations rassemblées à ce jour sur les crimes anti-hutu ont d’autant plus le mérite d’exister que les soldats de l’APR prenaient toujours systématiquement soin d’éliminer toute trace, toute preuve de tueries en agissant avant tout durant la nuit :

          en tuant le plus silencieusement possible, idéalement d’un coup sec de douille de petite houe (agafuni) porté sur la tête ou la poitrine des victimes

          en laissant ces dernières ligotées agoniser, le souffle coupé (kandoyi)

          en brûlant les cadavres

          en les enterrant loin dans la forêt ou dans des zones « militaires » impénétrables

          en les jetant dans les rivières

          en torturant et pourchassant jusqu’à la mort tous ceux qui avaient eu la malchance d’être des témoins gênants des forfaits commis y compris dans les cachots officiels des brigades judiciaires passés sous le contrôle des vainqueurs

          enfin, en restreignant au maximum voire en interdisant purement et simplement les allées et venues d’enquêteurs internationaux dans le pays. Les meurtriers de l’APR étaient guidés et commandés par une stratégie de dissimulation à l’opposé des génocidaires Hutu qui, de leur côté, « appelaient les caméras pour filmer les stères de cadavres ». 

Quant les Interahamwe ordonnaient à certaines de leurs futures victimes Tutsi de creuser leur propre tombe dans un accès extrême et abject de perversité, les officiers de l’APR, eux, assassinaient sans avertissement les civils à qui ils avaient demandé de préparer puis remplir de cadavres des fosses communes dans le souci d’éliminer tout risque de fuite d’informations. C’est ainsi que des milliers de familles ont pu se plaindre à des enquêteurs, des ONG ou des journalistes d’avoir « perdu la trace » d’un ou plusieurs de leurs proches durant les années de conflits. Combien de parents ont eu à déplorer la disparition à jamais de leurs fils chéris sans en connaître les circonstances, imaginant tout simplement le pire, la mort… qui dans les fait était survenue.

Par conséquent, seuls les récits de rares survivants de fusillades, de témoins oculaires privilégiés ayant choisi l’exil ou bravant exceptionnellement la censure dans leur pays (voire d’anciennes recrues de l’APR comme Abdul RUZIBIZA) permettent de saisir l’énormité des crimes perpétrés par les troupes de l’actuel Président Kagame. Pour le reste, la maladie, la faim ou les kalachnikovs de l’APR se sont chargées d’envoyer dans l’au-delà des milliers d’autres témoins gênants amassés dans les camps du Zaïre dans la foulée du génocide.

Arrestations et détentions illégales et arbitraires de magistrats Hutu (à titre illustratif):       

Voici la liste des magistrats qui, à titre illustratif, étaient détenus arbitrairement et illégalement en date du 20 juin 1995. Les 16 premiers avaient été provisoirement libérés par une commission gouvernementale de triage, composée d’un représentant du Parquet Général près de la Cour Suprême, d’un représentant du Ministère de la Défense et celui du Service Central des Renseignements. Tous les magistrats détenus sont généralement accusés d’avoir participé au “génocide de 1994”. Comme nous l’avons évoqué plus haut, certains magistrats, libérés par cette commission, ont été ré arrêtés par des militaires sans en aviser le Ministre de la Justice si bien que plus de la moitié de ceux qui figurent sur la liste, ci-après, croupissent encore en prison depuis 1995:

Nom et Prénom                                Fonction:                   Lieu d’affectation:

 1. MURAGIZI Etienne                    Juge de Canton          RUNYINYA (Butare)

 2. MUSIRIKARE Paul                    Président de Canton   HUYE (Butare)

 3. NYILINKWAYA Gervais          Juge de Canton          NYABISINDU (Butare)

 4. MUKURALINDA Jean               Juge du Tribinstance  NYABISINDU (Butare)

 5. NYAMULINDA Fulgence          Juge de Canton          GITI (Byumba)

 6. MUNYANSHONGORE VianneyJuge de Canton         KAMEMBE (Cyangugu)

 7. SIBOMANA Vianney                 Président de Canton   GISOVU (Kibuye)

 8. NKUNDIMFURA Anaclet         Conseiller C.Appel     NYABISINDU (Butare)

 9. SEKAZIGA Wenceslas               Président de Canton   MUSAMBIRA (Gitarama)

10. HABIYAMBERE Thadée          V/Prés. Tribinstance   KADUHA (Gikongoro)

11. NYANDWI Denis                      Juge de Canton          RUHASHYA (Butare)

12. HABONIMANA J.Baptiste       Président de Canton   MUSEBEYA (Gikongoro)

13. MUNYENTARAMA Paul         Juge de Canton          MARABA (Butare)

14. KAYIKIRE Abdon                    Juge de Canton          RUTONDE (Kibungo)

15. SEBULIKOKO Jéremie             Juge de Canton          MUKINGO (Ruhengeri)

16. NTAHORUGIYE J.Baptiste      Juge de Canton          NYAMUTERA (Ruhengeri)

17. BIRETE Guillaume                     Juge de Canton          NKULI (Ruhengeri)

18. NGILINSHUTI Théoneste         Président de Canton   GISUMA (Cyangugu)

19. NIKWIGIZE Marcellin               Président de Canton   RUNYINYA (Butare)

20. NIYOMUGABO Enoch                         Premier Substitut        MUNINI (Gikongoro)

21. NSABIMFURA Jéremie             Premier Substitut        NYANZA (Butare)

22. BIPFUBUSA Faustin                 Juge de Canton          GAFUNZO (Cyangugu)

23. KABALISA Faustin                   Juge de Canton          TAMBWE (Gitarama)

24. MWUMVANEZA Juvénal         Juge de Canton          BICUMBI (Kigali-rural)

25. MUKANYANGEZI Josepha     Juge du Tribinstance  KIGALI (P.Ville de Kigali)

26. SHUMBUSHO Daniel                Premier Substitut        NYAMATA (Kigali-Rural)

27. BURANGA Jean                        Juge de Canton          MWENDO (Kibuye)

28. NGOBOKA André                     Juge de Canton          GISOVU (Kibuye)

29. KAMUGENGA J.d’Amour        Président de Canton   BWAKIRA (Kibuye)

30. NAKABONYE André               Juge de Canton          BWAKIRA (Kibuye)         

Malgré le besoin criant en personnel judiciaire, il a été constaté que des extrémistes tutsis, dans leur élan de mettre en place un appareil judiciaire qui leur soit favorable, n’avaient pas du tout envie de reprendre les agents judiciaires qui ont travaillé sous l’ancien système. Ils inventent alors des crimes pour pouvoir s’en débarrasser. Il est devenu de plus en plus clair que les magistrats Hutus de l’ancien système sont exclus. En juin 1995, plus de 40 magistrats hutus étaient emprisonnés suite à cette épuration. Un tiers aurait été libéré et affecté dans certaines juridictions. Ces magistrats sont traumatisés, terrorisés et incapables de travailler en toute indépendance suite à cette ingérence militaire. En 1997, plus de 100.000 détenus, 85% n’avaient  pas de dossiers!

L’ancien procureur François Xavier NSANZUWERA a déclaré en 1995 qu’environ 20 à 30% des personnes arrêtées seraient des innocents. Mais les chefs militaires et politiques du FPR n’ont jamais cessé d’arrêter des milliers de citoyens sans enquêtes ou dossiers judiciaires. Le seul critère pour être arrêté arbitrairement, c’était d’appartenir à l’ethnie Hutu.

Fait à Bruxelles, le 07/12/2014

Joseph MATATA, Coordinateur du CLIIR


[1]Grégoire DURUZ un chercheur Suisse, qui vient de publié  un livre intitulé « Par-delà le Génocide : Dix-sept récits contre l’effacement de l’histoire au Rwanda», p.52 à 54