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COM 099/2006-GACACA: Un tribunal populaire condamne deux couples d’intellectuels Hutu innocents

CLIIR estime que ces deux couples sont innocents et victimes d’un gigantesque complot qui vise l’extermination systématique des Hutu en général et des intellectuels Hutu en particulier


GACACA : Un tribunal condamne deux couples d’intellectuels Hutu innocents respectivement à 30 ans pour les hommes et à 25 ans pour les femmes

« Museler les accusés en organisant un concert de cris et de hurlements pendant les procès Gacaca, savoir travestir la vérité et bafouer la loi sur les Gacaca par des audiences nocturnes, c’est toute une gymnastique utilisée pour condamner des intellectuels Hutu » : déclarent des témoins oculaires de Ngoma (Butare) qui croyaient assister à un film et à un cauchemar.

Le procès décrit ci-après est un cas type de ce que la Note Verbale n° 2155/06/RS du Secrétariat d’Etat du Vatican adressée à l’Ambassade d’Allemagne au Vatican épingle comme suit : «Les accusés sont en majorité des Hutu ayant fait des études secondaires ou qui ont des biens…Ce sont les autorités politiques qui décident à l’avance qui doit être jugé et quelle est la sentence à appliquer … . Tout le déroulement de la séance semble organisé d’avance» (Cité par Fondation Hirondelle, 12/05/2006).  C’est ce qui s’est passé à Butare dans la soirée du 8 novembre 2006. 

RESUME DES FAITS

Mercredi le 8 novembre 2006 vers 20h, à l’issue de leur procès joué comme dans un film de Hollywood, deux couples d’intellectuels Hutu ont été condamnés arbitrairement à des peines très lourdes par le tribunal GACACA de la cellule Kabutare siégeant dans le secteur NGOMA dans la ville de Butare, province du Sud du Rwanda. Il s’agit des couples :

–  Bernard UZABAKILIHO et son épouse Antoinette NYIRABAKUNGU

–  Athanase HAKIZIMANA et son épouse Concensa NYIRABIZIMANA.

Après une parodie de procès, les deux hommes ont été condamnés chacun à 30 ns de prison et les deux femmes à 25 ans chacune.

Les deux couples Hutu ont été hués par un public préparé à l’avance et ont été empêchés de se défendre par un groupe de faux témoins préparés à l’avance par les agents infiltrés de la DMI[1] (Directorate of Military Intelligence) qui ont détourné les  juridictions Gacaca de leur mission d’aboutir à la vérité et à la réconciliation nationale.

Normalement, l’horaire des procès Gacaca oblige les juges (inyangamugayo) à arrêter les audiences vers 17h et à reporter les audiences un autre jour pour permettre aux accusés de se défendre et aux témoins à décharge de témoigner en faveur des accusés.

Après les auditions, les juges Gacaca sont obligés par la loi de lire les procès verbaux des accusés et des témoins avant de procéder à leur signature. Or, pour le procès des deux couples, la loi qui régit les Gacaca a été bafouée notamment dans son article qui oblige les juges à relire les textes des procès verbaux des auditions et d’entendre les accusés avant toute délibération. 

CHRONOLOGIE DES AUDIENCES

En janvier 2006, les deux couples, originaires de Cyangugu, avaient comparu pour la première fois devant le tribunal Gacaca de Kabutare pendant la phase de récolte des  informations « Ikusanyamakuru ». Ils ont déclaré tout ce qu’ils avaient vu ou entendu pendant le génocide lorsqu’ils résidaient encore à Butare

Le 8 novembre 2006 vers 20h, les deux couples, venant de Cyangugu où ils résidaient, ont répondu aux lettres de convocation qui les accusaient d’avoir une responsabilité dans les crimes de génocide et de pillages qui ont eu lieu dans la ville de Butare où ils résidaient au moment du génocide. 

Premier coup de théâtre.  A leur arrivée devant le tribunal Gacaca, les accusations consignées dans leurs lettres de convocation avaient été modifiées et revues par les juges. Sans qu’il y ait aucun débat contradictoire devant ce tribunal et dans un concert infernal de cris et de hurlements, les deux couples ont été condamnés à 30 ans pour chacun des deux hommes et à 25 ans pour chacune des deux épouses. Les cris et les hurlements ont eu lieu dès leur apparition dans ce public préparé par les juges Gacaca alors que ces mêmes couples avaient comparu et avaient été bien écoutés au début de cette année 2006! Aucune chance de se défendre ne leur a été laissée. Ce procès expéditif s’est déroulé apparemment dans un scénario préparé à l’avance.

Cette condamnation arbitraire a été suivie immédiatement par leur arrestation. Ils ont été directement incarcérés dans la prison centrale de Karubanda à Butare.

Antécédents judiciaires: Les deux hommes avaient été déjà arrêtés arbitrairement et  avaient séjourné en prison à différentes époques (Bernard Uzabakiriho fut emprisonné de août 1999 au 28/04/2003 tandis que Athanase Hakizimana fut emprisonné du 21/09/1994 au 28/04/2003). Ils avaient été libérés tous les deux le 28 avril 2003 (soit 5 jours après l’enlèvement par des militaires et la disparition du Lt Colonel Augustin CYIZA, beau frère de Bernard UZABAKIRIHO) parce que leurs dossiers étaient vides, d’après ce qui leur a été dit par le parquet. Mais leurs billets d’élargissement soulignaient qu’ils étaient libérés provisoirement. 

BREFS CURRICULA VITAE

 1. M. Bernard UZABAKILIHO

Monsieur Bernard Uzabakiliho est né en 1948 en commune de Gisuma, ancienne préfecture Cyangugu (aujourd’hui incluse dans le district Nyamasheke, province de l’Ouest du Rwanda). Il a obtenu une Maîtrise en Chimie à Poitiers (France) en 1976. En 1978, il épousa Antoinette NYIRABAKUNGU qui lui a donné 4 enfants dont 3 sont actuellement étudiants à Université. De 1976 à 1993, il a été professeur à l’Institut Pédagogique National du Rwanda (IPN) et puis à l’Université Nationale du Rwanda (UNR) après la fusion de ces 2 Institutions.

Dès le retour du multipartisme au Rwanda en 1992, il a été membre du parti principal d’opposition MDR (Mouvement Démocratique Républicain) tendance de l’ancien premier Ministre du FPR, Faustin Twagiramungu. Les deux anciens Premiers ministres Faustin Twagiramungu et Dismas Nsengiyaremye peuvent le confirmer.

Il a été aussi professeur de l’ancien Premier ministre, Mme Agathe UWILINGIYIMANA avec qui il a partagé les mêmes visions politiques avant son assassinat le 7 avril 1994. Il a également été professeur au Groupe Scolaire de Butare de 1993 à 1994.

N’ayant rien à se reprocher et sans aucune intention de fuir son pays, avec d’autres intellectuels Hutu de Cyangugu engagés pour la paix, dont son beau-frère Augustin CYIZA, à l’époque Major, Uzabakiliho a fait partie du groupe des intellectuels Hutu qui ont travaillé aux côtés des militaires français de la Zone Turquoise en 1994 pour réorganiser l’administration, l’encadrement et la sécurité de la population de Cyangugu.

Il a exercé les fonctions de bourgmestre de la commune de Gisuma jusqu’à l’arrivée des autorités du nouveau gouvernement mis en place par le FPR (Front Patriotique Rwandais).

Dès la reprise des écoles, Monsieur Bernard UZABAKILIHO a présenté sa démission pour revenir à sa carrière d’enseignant. De 1994 à août 1998 (date de son emprisonnement arbitraire), il a été professeur à l’Ecole secondaire de Filles à Nyamasheke (Cyangugu).

En août 1999, il a été arrêté à Kigali après avoir participé à la correction des examens de fin d’année scolaire où il avait été chargé du département de correction des examens de Chimie et de Physique. Il avait été victime d’un complot orchestré par un jeune professeur tutsi qui voulait à tout prix faire partie de l’équipe chargée de corriger les examens de Chimie alors qu’il n’en avait pas la compétence. Lorsque Uzabakiliho s’opposa à cette fraude inacceptable, le jeune Tutsi s’arrangea avec un militaire du FPR pour le faire emprisonner sous la fausse accusation du crime de génocide.

C’est suite à des complots de ce genre que beaucoup de Hutus croupissent en prison arbitrairement depuis plus de 12 ans.

D’août 1999 au 28 avril 2003, Bernard UZABAKILIHO a été emprisonné dans la prison centrale de KARUBANDA à Butare avec un dossier vide. Le 28 avril 2003, date de son élargissement, eut lieu l’enlèvement de son beau-frère, le Lt Colonel CYIZA Augustin. Il fut d’abord porté disparu. On apprendra plus tard qu’il a été torturé avant d’être assassiné par les services rwandais de sécurité. De 2003 au 8 novembre 2006, Bernard Uzabakiriho a repris sa carrière d’enseignant à l’Ecole secondaire de Filles à Nyamasheke. Le 8 novembre 2006 vers 20h, il a été arrêté avec son épouse Antoinette NYIRABAKUNGU par le Tribunal populaire Gacaca de la cellule KABUTARE siégeant dans le secteur NGOMA dans la ville de Butare.

2. Mme Antoinette NYIRABAKUNGU

Née en commune de Gisuma (Nyamasheke  actuellement) vers 1949, elle a fait ses études supérieures à l’Institut Pédagogique National (IPN) de 1974 à 1977. Comme dit plus haut, elle a épousé Bernard Uzabakiliho en 1978 à qui elle donné 4 enfants dont 3 font actuellement des études universitaires.

De 1977 à 1994, elle a enseigné au Groupe scolaire de Butare et de 1994 au 8 novembre 2006 elle a enseigné à l’Ecole secondaire de Filles à Nyamasheke comme son époux. Sans antécédent judiciaire connu, elle a été convoquée avec son mari Uzabakiliho par le Tribunal Populaire Gacaca de Butare  au début de cette année 2006. Le couple a été entendu et puis laissé en liberté. Le 8 novembre 2006, elle a été convoquée par le même Tribunal Populaire Gacaca avec son époux. Bernard Uzabakiriho a été condamné à 30 ans de prison et Antoinette Nyirabakungu à 25 ans.

Les fausses accusations contre Bernard Uzabakiliho

Selon la lettre de convocation, Bernard Uzabakiriho est accusé de:

1)      Faire partie du groupe mobile 

2)      Avoir tué (Kwica);

3)      Faire partie des groupes d’attaquants (Kujya mu bitero).

Au procès, ces fausses accusations se transforment en

1) Faire partie du groupe mobile ;

2) Participer à des réunions de préparation des massacres ;

            3) Avoir une responsabilité dans le meurtre de Rwagashayija, Umulisa, Gasana (survivant) et Grégoire.

Pour rappel,  le jeune Tutsi qui l’avait fait emprisonner en août 1998 l’accusait du meurtre de Gasana (pourtant encore en vie !)

Les fausses accusations contre Antoinette Nyirabakungu 

Selon la lettre de convocation, Mme Antoinette Nyirabakungu est accusée de:

1) Fouilles (gusaka) ;

2) Tentative de tuer (kugambirira kwica) ;

3) Divisionnisme (amacakubiri).

Au procès, les fausses accusations changent littéralement et deviennent :

1) Surveiller et espionner le domicile de Rwagashayija (gutata no kuneka urugo rwa Rwagashayija) ;

2) Porter une responsabilité dans le meurtre de Evelyne ;

3) Faire partie du groupe de femmes qui apprenaient à lancer des grenades (Kuba yari muri groupe y’abagore bigaga gutera grenades) ;

4) Discriminer les enfants dans les écoles (Kuvangura abana mu mashuri).

 3. Athanase HAKIZIMANA

Lui et son épouse sont originaires de la Commune de Cyimbogo (actuel district de RUSIZI, province de l’Ouest). Après ses études à l’Ecole Normale de Nyamasheke, Athanase HAKIZIMANA a fait ses études supérieures à Bordeaux (France). Dès son retour au Rwanda, il a été affecté à l’Institut Pédagogique National (IPN) en 1969.

Après la fusion de l’IPN et de l’Université Nationale du Rwanda (UNR), il a été fonctionnaire à l’UNR jusqu’en 1994. Le 21 septembre 1994, il a été interpellé et emprisonné jusqu’au 28 avril 2003. Il fut relâché car son dossier était vide. Les époux Hakizimana et Nyirabizimana ont 3 enfants qui font actuellement des études universitaires. Au début de cette année 2006, Athanase et son épouse Concensa ont été convoqués par le Tribunal Populaire Gacaca de Butare. Ils ont été entendus en toute liberté et ne faisaient l’objet d’aucune accusation.

Le même couple a été convoqué pour le 8 novembre 2006 par le même Tribunal Populaire Gacaca de Butare avec une lettre qui contenait trois accusations contre chacun d’eux. Reçus par un concert de hurlements du même auditoire qui les avait reçu au début de cette année.  Hakizimana a été condamné à 30 ans de prison et Nyirabizimana à 25 ans.  Ils n’ont pas été autorisés à se défendre. Ils ont été immédiatement arrêtés et écroués à la prison de Butare.

4. Concensa NYIRABIZIMANA 

Elle a fait ses études supérieures à l’IPN et a terminé en 1977. Elle a travaillé au Groupe scolaire de Butare de 1977 jusqu’en 1998. Elle a travaillé ensuite à l’Ecole secondaire de Shangi (préfecture Cyangugu) de 1998 au 8 novembre 2006 date à laquelle elle a été interpellée avec son mari par le Tribunal populaire Gacaca de Butare.

 Les fausses accusations contre Athanase HAKIZIMANA :

Selon la lettre de convocation, Hakizimana est accusé de:

  1)  Avoir tué (Kwica) ;

  2) Participer aux attaques (Kujya mu bitero) ;

Les fausses accusations contre Concensa Nyirabizimana 

 Selon la lettre de convocation, Nyirabizimana est accusée de :

               1) Tentative d’assassinat (Kugambirira kwica);

               2) Participer aux attaques (Kujya mu bitero) ;

               3) Avoir tué (Kwica). 

CONCLUSIONS :              

Au regard de toutes les irrégularités qui ont entaché ce procès GACACA du 8 novembre 2006 et les modifications des accusations consignées dans leurs lettres d’invitation, notre Centre, le CLIIR, estime que ces deux couples d’intellectuels Hutu sont innocents et victimes d’un gigantesque complot qui vise l’extermination systématique des Hutu en général et des intellectuels Hutu en particulier. Si les deux couples avaient un crime à se reprocher, ils auraient eu tout le temps de fuir au Zaïre en juillet 1994 ou de s’exiler pendant ces douze ans qui viennent de s’écouler. S’ils sont restés à Nyamasheke et n’ont pas cherché à fuir, c’est qu’ils avaient la conscience tranquille

La condamnation arbitraire des deux couples, ci haut cités, confirme le détournement des tribunaux Gacaca par le « pouvoir occulte » des extrémistes Tutsi qui ne sont motivés que par « la volonté de nuire et de détruire des groupes bien définis de Hutu innocents ». Ce détournement criminel a été dénoncé dans notre Communiqué n°80/2005 du 18 mars 2005 intitulé : « Les tribunaux GACACA sont détournés, contrôlés et paralysés par les chefs militaires et politiques du FPR impliqués dans le génocide rwandais ».

Les Gacaca sont devenus une arme judiciaire pour exclure et neutraliser, par la prison, tous les Hutu que le FPR voudra détruire dans leur intégrité physique, sociale et psychique. 
Rappelons que d’autres anciens professeurs de l’UNR croupissent arbitrairement en prison sans dossier et sans jugement depuis plus d’une dizaine d’année. Il s’agit notamment de
         Dr Pascal HABARUGIRA,
         Dr Jean Népomuscène NSENGIYUMVA,
         RUNYINYA Barabwiriza,
         Bernard Mutwewingabo.
         Damien IYAKAREMYE,
         Faustin KIGABO, etc…

RECOMMANDATIONS : Le Centre recommande instamment :

         Que les deux couples soient immédiatement libérés et laissés en paix.

         Que toutes les personnes condamnées et emprisonnées arbitrairement par les tribunaux GACACA soient libérées immédiatement et que celles qui sont impliquées dans les complots visant des personnes innocentes soient sanctionnées par la justice.

         Que le gouvernement rwandais et le Service National des Juridictions GACACA (SNJG) suspendent provisoirement les procès GACACA et procèdent à l’identification et à la neutralisation des milliers d’agents de la DMI qui ont infiltré ces tribunaux, qui les contrôlent et qui en ont fait des instruments de persécution et d’extermination des Hutu en général et des intellectuels Hutu en particulier.

         Que toutes les associations de rescapés du génocide, qui servent de «relais et de caisses de résonance » de la DMI et d’autres extrémistes Tutsi, cessent de se prêter à cette campagne de délation institutionnalisée au plus haut niveau de l’Etat rwandais. Qu’elles sachent

qu’un jour, tous les membres des « syndicats de délateurs » devront répondre de leurs activités criminelles devant la justice et devant le peuple rwandais, lorsque le régime du FPR se sera écroulé comme d’autres tyrannies qui ont disparu.

         Que la population rwandaise résiste à la délation et à la culture du mensonge qui leur est imposée comme un nouveau mode de vie par le régime du FPR.

         Que tous les pays qui financent le système des juridictions GACACA cessent de financer ces tribunaux devenus des tribunaux criminels de par leur dérive et leur iniquité tant qu’ils seront détournés de leurs objectifs par les agents de la DMI.

         Que les autorités rwandaises respectent l’esprit et les principes de la juridiction traditionnelle

Gacaca qui est fondée sur la recherche de la vérité, de la réconciliation et non sur l’art de mentir et de comploter contre des innocents.

Fait à Bruxelles, le 13/11/2006

Joseph MATATA, Coordinateur du CLIIR


[1] La DMI (Directorate of Military Intelligence) est une véritable « machine à tuer », une sorte de GESTAPO Tutsi créée et dirigée par le président rwandais et président du FPR (Front Patriotique Rwandais), le Général Paul KAGAME. La DMI a impunément assassiné et fait disparaître des milliers d’opposants politiques (réels ou supposés) et de citoyens rwandais Hutu et Tutsi depuis plus de 12 ans»