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Com075/2004 – Procès E. Ndindabahizi au TPIR : déni de justice

Le CLIIR condamne les injustices, les omissions, les erreurs volontaires évidentes, les manipulations et les contradictions entre les témoins de l’accusation prises pour crédibles par la 1ère Chambre du TPIR.

Le déni de justice dans le procès NDINDABAHIZI au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR)

Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice dénonce et condamne les injustices, les omissions, les erreurs volontaires évidentes, les manipulations des déclarations des témoins, les contradictions entre les témoins de l’accusation prises pour crédibles et ou justifiées par la 1ère Chambre du TPIR elle-même, des approximations, des interprétations erronées des déclarations des témoins qui ont caractérisé le procès de l’ancien ministre des finances, Monsieur NDINDABAHIZI Emmanuel, arrêté par le TPIR en Belgique en 2002.

En effet, dans son jugement rendu le 15 juillet 2004 à 15h, la Chambre I du TPIR composée de Monsieur Eric MOSE de Norvège, Président, KHALIDA Rachid Khan du Pakistan, membre et Madame Salomy BULUNGI Bossa de la Cour Suprême d’Ouganda, membre, a condamné Monsieur NDINDABAHIZI Emmanuel à l’emprisonnement à vie pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité (extermination et assassinat). Ce procès, s’étant déroulé essentiellement à huis clos surtout sur demande du procureur, la seule information fournie au public semble être le résumé du jugement prononcé le 15 juillet 2004 par le Juge Président de la 1ère Chambre et Président du TPIR, Monsieur Eric MOSE.

Rappelons que cette lourde peine s’est basée sur les seuls témoignages du témoin CGY et du témoin CGN pour le site de Gitwa et du témoin CGC pour le site de Gaseke (province KIBUYE).

Le reste des témoins du procureur (soit 11 personnes) ont été déclarés non crédibles, ou leurs témoignages n’ayant pas été trouvés pertinents. Aucune culpabilité n’a été reconnue contre Ndindabahizi pour les sites de Gasharu, Faye, Kibirizi, Nyabahanga, le domicile du Bourgmestre Karara, Karongi et Bisesero.

Ces témoignages, qui n’ont nullement été corroborés, auraient dû être rejetés par le tribunal qui s’était déjà prononcé contre les témoignages non corroborés tel que l’indique le paragraphe 830 du jugement rendu le 3 décembre 2003, page 270 dans l’affaire NAHIMANA et al (procès des médias) :

« Serushago a témoigné au sujet d’une autre scène de massacre une semaine plus tard, entre le 13 et le 20 avril à la commune rouge. Serushago a dit qu’il a vu Ngeze tirer sur un tutsi après avoir demandé pourquoi on l’a fait attendre et non pas tué immédiatement. L’exécution devait servir d’exemple de manière de tuer pour les autres. Le témoignage de Serushago n’est nullement corroboré et la chambre ne peut pas se fonder uniquement sur ce témoignage pour justifier cette charge contre Ngeze. La chambre note la déposition du témoin EB, selon laquelle son cousin lui avait dit qu’il avait été à la commune rouge et qu’il y avait vu Ngeze en train d’inspecter les corps morts et d’achever ceux qui n’étaient pas tout à fait morts. Bien que la Chambre considère le témoin EB comme digne de foi, cette déposition est un ouï-dire et n’a aucun lien avec l’assassinat du tutsi auquel se réfère Serushago. Selon la Chambre, elle ne peut pas être acceptée sans autre corroboration à la conclusion lourde de conséquence pour l’accusé ».

C’est pourtant cette même Chambre qui a condamné Ndindabahizi à la prison à vie le 15 juillet 2004 sur base des dépositions non corroborées des témoins CGY, CGN et CGC. Avec la seule déposition de CGY, Ndindabahizi a été reconnu coupable de génocide des tutsis réfugiés sur la colline de Gitwa (le 23 avril 1994). Avec la seule déposition de CGN, Ndindabahizi a été reconnu coupable de génocide des tutsis réfugiés sur la colline de Gitwa (le 24 avril 1994). Avec la seule déposition de CGC, Ndindabahizi a été reconnu coupable de génocide du métis Nors tué sur le barrage routier de Gaseke (le 20 mai 1994 selon CGC) !

Voici quelques unes des nombreuses contradictions des témoins du procureur Adeogun PHILLIPS qui a interrogé le même témoin dans le procès MUSEMA Alfred et dans celui de Ndindabahizi : « Le procureur qui avait sans doute oublié que le témoin CGY avait déclaré dans le procès Musema qu’il n’y avait pas eu d’attaque à Gitwa entre le 20 et le 26 avril 1994, l’a recruté à charge contre Ndindabahizi Emmanuel pour l’accuser d’avoir distribué des armes à Gitwa le 23 avril 1994 et pour dire qu’il a vu des attaques les 24 et 25 avril à Gitwa.

Un autre témoin CGN du procureur, retenu comme crédible pour le site de Gitwa, a parlé d’attaques d’au moins 10.000 assaillants chaque jour à Gitwa depuis son arrivée sur les lieux qu’il situe au 15 avril 1994. Selon ce témoin, la colline de Gitwa était encerclée jour et nuit par des assaillants, mais le témoin CGY a déclaré qu’il voyageait chaque jour entre le 15 et le 26 avril entre Gitwa et Karongi pour voir sa famille. Cependant, le témoin CGN, durant sa déposition, a insisté pour dire qu’il n’y avait pas de possibilité pour un réfugié de sortir de Gitwa pour fuir, que ce soit le jour ou la nuit durant tout le temps qu’ils ont passé sur cette colline, c’est-à-dire jusqu’au 26 avril 1994. Le Tribunal a, malgré tout, donné crédit à ces deux témoignages de CGY et CGN qui se contredisent et s’est fondé sur leurs dépositions pour déclarer Ndindabahizi coupable et le condamner à la prison à vie ». Trois témoins CGV, CGN, CGM, qui prétendaient le connaître, vont tous dire que Ndindabahizi était gérant du magasin TRAFIPRO à Kibuye et qu’ils le voyaient chaque fois qu’ils y allaient pour acheter des vivres et des habits ou y vendre leur café. Le témoin CGM a dit également qu’il avait connu Ndindabahizi comme enseignant à Nyagatovu en 1966/1967. Or Ndindabahizi n’a jamais enseigné ni géré un magasin de TRAFIPRO !

Le Tribunal a également accepté que le témoin DC, Hategekimana Sabin (détenu à la prison de Ruhengeri au Rwanda) a participé aux massacres des réfugiés tutsi de Gitwa le 26 avril 1994, mais curieusement, le tribunal a rejeté son témoignage selon lequel il a participé à l’assassinat de NORS tué le 26 mai 1994 d’après le carnet de bord du véhicule que conduisait le témoin DB qui a expliqué les circonstances de cet assassinat. Le témoin CGC du procureur a déclaré que Monsieur NORS a été tué le 20 mai 1994, soit six jours de différence ! Le témoin de la défense DA, la propre fille de NORS, a bien prouvé que Ndindabahizi Emmanuel n’a rien à voir avec la mort de son père NORS qui a été assassiné suite à un règlement de compte avec un certain Nkubito. Ce dernier a été poursuivi par le parquet de Kibuye pour cette affaire et il est mort en prison.

Le témoignage à décharge important du témoin crédible DQ a été occulté dans le jugement. Le témoin DQ est un intellectuel tutsi originaire de la Préfecture Kibuye. Pendant le génocide, il a perdu sa femme et ses quatre enfants. Après l’arrivée au pouvoir du FPR, il a été nommé député à l’Assemblée Nationale de Novembre 1994 à mars 1999 et représentait sa préfecture de Kibuye. Présenté par la Défense de Ndindabahizi le 6 novembre 2003, il a témoigné sur la moralité de ce dernier et a longuement évoqué les visites qu’il a effectuées sur les sites du génocide et des massacres dans la préfecture de Kibuye. Il a déclaré au Tribunal que pendant tout le temps qu’il a effectué ces visites, il n’a entendu personne mettre en cause Ndindabahizi dans les événements de Kibuye, où que ce soit. Il a répété plusieurs fois devant le Tribunal qu’à aucun moment le nom de Ndindabahizi n’a été cité parmi les commanditaires ou les exécutants des massacres des Tutsi. Il a visité notamment les sites de Bisesero, Gitwa, Kibuye ville et Nyange.

Preuves documentaires délibérément écartées :

Au cours du procès, la défense de Ndindabahizi Emmanuel a versé aux débats un certain nombre de documents susceptibles de prouver l’innocence de Ndindabahizi Emmanuel. Le plus important de ces documents est sans nul doute le Rapport préliminaire d’identifications des sites du génocide et des massacres d’avril à juillet 1994, publié en février 1996 par le Ministère rwandais de l’Enseignement supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Culture. Ce document a été introduit pour la première fois au TPIR par le procureur lui-même qui l’a utilisé contre SEMANZA Laurent, et le Tribunal en a fait un constat judiciaire. Dans la suite, le procureur l’a utilisé une seconde fois dans le procès dit du Gouvernement II, c’est-à-dire dans l’affaire Bizimungu et allii. L’auteur de ce document, du nom d’Eric Rousseau du Ministère rwandais de la Réhabilitation et de l’Intégration sociale est venu témoigner pour l’accusation en date du 20 novembre 2003 dans le procès « Gouvernement II ». Il a défendu le contenu de ce rapport devant la Chambre II du TPIR, et a expliqué que l’objectif de ce rapport était de montrer qu’il y a eu génocide partout au Rwanda. Ce témoin a montré la méthodologie suivie par la Commission interministérielle d’enquête pour arriver aux informations contenues dans ce rapport. Cette méthodologie, qui a notamment consisté à interroger d’abord les autorités locales à tous les niveaux de l’administration territoriale, à interroger les rescapés et en se rendant sur les sites, est clairement consignée dans ce rapport. Le nom de Ndindabahizi, qui est accusé d’avoir perpétré des massacres sur la colline de Gitwa entre le 13 et le 26 avril 1994 en commune Gitesi, n’est mentionné nulle part dans ce rapport qui fait état des commanditaires et des responsables du génocide et des massacres. Le professeur Lugan, témoin expert de la Défense a utilisé ce même rapport dans son témoignage à décharge de Ndindabahizi en date du 20 novembre 2003, c’est-à-dire à la même date où le procureur, par le biais d’Eric Rousseau, le présentait à charge des membres du Gouvernement Intérimaire (Bizimungu Casimir, Mugenzi Justin, Mugiraneza Prosper et Bicamupaka Jérôme). La Chambre I de première instance a délibérément refusé de considérer ce moyen de preuve comme moyen de défense de Ndindabahizi Emmanuel. Pourtant ce document donne des détails précis sur ce qui s’est passé sur la colline de Gitwa entre le 13 et le 26 avril 1994 en particulier, et dans la commune de Gitesi en général. Si le dit rapport est présenté par le procureur comme moyen de preuve contre certains accusés, pourquoi ce même tribunal ne l’accepte pas quand il est présenté par la Défense pour disculper un accusé du TPIR ?

Ce rapport n’est pas la seule preuve rejetée sans raison. Le Tribunal a rejeté également le livre d’Alison Desforges « Aucun témoin ne doit survivre ». La défense de Ndindabahizi a présenté ce livre de plus de 930 pages comme moyen documentaire de défense. Madame Alison Desforges, qui a été appelée par le procureur comme témoin expert contre Ndindabahizi, cite les noms des responsables des massacres commis dans cette partie du pays. Elle donne les noms des criminels depuis les hautes autorités comme le préfet jusqu’au conseiller de secteur. A aucun endroit, le livre d’Alison Desforges ne cite le nom de Ndindabahizi Emmanuel comme responsable de quoi que ce soit en rapport avec le génocide et les massacres où que ce soit dans la préfecture de Kibuye ou ailleurs au Rwanda. Le TPIR a rejeté ce livre comme moyens de preuve à décharge et a pourtant retenu Madame Alison Desforges comme témoin contre Ndindabahizi sur des charges ne figurant même pas dans l’acte d’accusation, à savoir : la participation de Ndindabahizi au Gouvernement Intérimaire, et la participation de Ndindabahizi à la réunion du 3 mai 1994 à Kibuye. Le tribunal a retenu le procès verbal de cette réunion malgré le fait qu’au cours du procès le président de la Chambre I, le juge Eric MOSE, avait qualifié ce procès verbal de peu pertinent, et que dans le jugement rendu le 15 juillet 2004 le tribunal reconnaît que le procureur n’a pas pu prouver son authenticité.

Pourtant, la participation de Ndindabahizi au Gouvernement, bien que ne figurant pas dans l’acte d’accusation, a constitué la base de sa condamnation mais d’une façon camouflée (Voir le Mémorandum de Ndindabahizi du 28 juillet 2004 pages 23-24). La participation au gouvernement Kambanda ne constitue pas un crime en soi surtout après l’acquittement du Ministre André NTAGERURA par le TPIR.

Témoignage d’un agent du TPIR rejeté :

            Le troisième témoignage refusé est celui relatif à la déclaration écrite du témoin DX. Ce document a été déposé par la défense par sa requête du 27 octobre 2003. Dans son article 92 bis, le Règlement de Procédure et de Preuve donne une semaine au Procureur pour réagir à la requête de la défense. Au 27 novembre 2003, le procureur n’avait pas encore répondu à la requête de la Défense. Les délais ayant expiré, la réponse du Procureur devenait irrecevable. Au cours de l’audience du 27 novembre 2003, le procureur a déclaré que cette requête de la défense n’avait pas été portée à l’attention des membres de l’équipe du procureur. Répondant à la question du juge président Eric MOSE qui voulait savoir si le Procureur avait reçu cette requête à la date indiquée par la défense, le procureur KAPAYA a répondu que personnellement il n’avait pas eu connaissance de ce document. Suite à l’intervention du Greffe qui affirmait avoir reçu ce document à la date indiquée par la défense, à savoir le 27 octobre 2003, et qu’il l’avait bel et bien remis au Procureur, celui-ci a finalement reconnu qu’il l’avait reçu le 26 novembre 2003, soit la veille de l’audience ! Vu l’expiration des délais réglementaires, cette requête de la défense devait être acceptée par la Cour. Le tribunal a préféré rejeter cette requête sans rien dire sur le non respect des délais qui s’imposaient au Procureur, alors qu’il n’avait même pas fait de requête pour demander la prolongation du délai de réponse. Ce témoignage de DX était pourtant une réponse à celui que le procureur avait déposé à travers le témoin Alison Desforges faisant état des déclarations de Ndindabahizi devant les enquêteurs du procureur à Naïrobi en 1996, 1997 et 1998. Le document portant ces témoignages a été accepté par la Chambre, mais le témoignage de DX qui expliquait comment et dans quelles conditions Ndindabahizi était entré en contact avec les enquêteurs du procureur a été rejeté sans autre explication. Dans son témoignage rejeté, le témoin DX, agent du TPIR à l’époque, expliquait les véritables raisons de l’arrestation de Ndindabahizi qui avait refusé de « marchander » avec le TPIR.

Conclusion :

Le comportement des juges de la Chambre I du TPIR a démontré l’absence d’indépendance de ces magistrats internationaux. Il est clair que le témoignage de l’agent du TPIR, le témoin DX, gênait beaucoup le TPIR en général et le procureur en particulier. Ce dernier ne l’a pas caché à l’audience car il a déclaré que si le Tribunal admettait ce document comme pièce à conviction de la défense, il mettrait fin au procès Ndindabahizi car ce document établissait clairement le caractère frauduleux de l’acte d’accusation de Ndindabahizi Emmanuel.

            Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda estime que le TPIR, qui devrait profiter du renouvellement de son équipe dirigeant pour afficher une stratégie claire et offensive au service de la justice équitable et sereine, est en train de mal juger et de faillir à sa mission de justice, de paix et de réconciliation.

            Depuis qu’il a succombé au chantage permanent des autorités rwandaises, le TPIR a accumulé de graves erreurs qui l’ont toujours poussé à instruire des dossiers plus lourds sur base de faux témoignages fournis par les syndicats de délateurs. Ces derniers ont été créés et sont entretenus et utilisés par la junte militaire du président rwandais Paul Kagame qui sabote et méprise le travail du TPIR. Le TPIR pourrait offrir une justice équitable en toute indépendance s’il se préoccupait avant tout de rendre justice et d’établir la vérité sur la tragédie rwandaise. Le procès de Ndindabahizi a dévoilé de nouvelles faiblesses du TPIR, c’est-à-dire : le déni de justice dont sont victimes les opposants politiques au régime FPR.

Fait à Bruxelles, 18 septembre 2004

Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur.