Assassinat de la Bourgmestre MUKABARANGA Judith et de dizaines de détenus en Commune NYAKABUYE à CYANGUGU
Pendant que l’opinion publique nationale et internationale est tournée vers la guerre injustifiée entre le Rwanda et le Zaïre sous la couverture des “rebelles tutsi Banyamulenge”, les assassinats politiques des autorités locales et détenus hutu se poursuivent à l’intérieur du Rwanda dans le cynisme et l’impunité totale.
Dans la nuit du 27 au 28 Octobre 1996, Madame MUKABARANGA Judith, qui était Bourgmestre de la Commune NYAKABUYE, Préfecture de Cyangugu (dans le Sud-Ouest du Rwanda), a été assassinée par des “malfaiteurs non identifiés”. D’après Radio-Rwanda, elle aurait été tuée par balles dans un incident où un militaire de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) aurait été tué et quatre (4) autres grièvement blessés! Une partie du bâtiment du bureau communal a été incendiée et tous les détenus au cachot de la commune NYAKABUYE se seraient évadés, selon les sources militaires de l’APR.
Madame le Bourgmestre aurait reçu des menaces sous forme de tract de la part “des infiltrés” peu avant son assassinat qui porte les Bourgmestres assassinés à Sept (7).
Pour comprendre la nature et les auteurs de ce nouveau crime dans cette commune, le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda rappelle quelques événements sanglants qui ont endueillé la S/Préfecture de Bugumya (qui regroupe trois communes BUGARAMA, KARENGERA et NYAKABUYE):
1) Samedi le 17 Août 1996 à 15h30 (heure où le marché était bien plein), un “escadron de la mort” a massacré des civils au marché de Nyakabuye situé à côté du camp militaire de l’APR et aucun malfaiteur n’a été identifié ou arrêté, malgré l’omniprésence des militaires en uniformes et en tenue civile qui pillulent dans la région. Le bilan de cet attentat criminel a fait 19 morts le jour même et 70 blessés graves. Voici le scénario du crime:
– Un coup de fusil tiré en l’air par un inconnu a servi de signal, puis successivement trois (3) grenades ont été lancées dans la foule faisant le bilan ci-dessus détaillé.
2) Dans la nuit de Dimanche le 18 Août 1996, des éléments non identifiés ont attaqué le domicile de BAYAVUGE Evariste, employé de la Cimenterie du Rwanda (Cimerwa) habitant le secteur Karengera (commune Karengera) dans la cellule Rujeberi. Son domicile, situé à environ 700 mètres du Bureau communal, du camp militaire de l’APR et du Marché de Nyakabuye, se trouve de l’autre côté du pont de la rivière Ntondwe qui sépare les deux communes. Le bilan de cette attaque: un enfant de Bayavuge et son frère KAYOBOTSE (agent Cimerwa) ont péri, tandis que Bayavuge et ses deux autres enfants ont été grièvement blessés. Les autorités locales et l’APR ne sont intervenues que le lundi 19/08/96 à 6h00, alors que les appels au secours avaient été lancés, lors de l’attaque, par la population déséspérée depuis Dimanche 18 août 96 à 20 heures du soir.
3) Dans la soirée du 10 au 11 mai 1996, un individu en tenue militaire a abattu de plusieurs balles Mme MUKANDOLI Anne Marie, Bourgmestre de la commune KARENGERA à son domicile voisin d’un détachement militaire de l’APR (qui occupe la maison de l’ex-Ministre Ntagerura André près du Bureau communal de Karengera). Mme Mukandoli, était coupable d’avoir tenté de protéger sa population contre les arrestations arbitraires et les exactions de l’APR depuis qu’elle dirigeait cette commune (en novembre 1994). Par exemple, à l’époque où dans la plupart des cachots communaux du pays s’entassaient entre 120 et 500 détenus (cfr rapport Mission des Droits de l’homme au Rwanda de Juin 1996), le cachot de Karengera contenait 86 détenus dont 2 femmes et 1 mineur en date du 13 Mars 1996.
4) Dans la nuit du Samedi 18 mai 96 (une semaine après la mort du Bourgmestre), le Bureau communal de Karengera fut attaqué et complètement incendié par des individus “non identifiés” qui auraient libéré 71 des 123 détenus du cachot! Par après,vingt-deux (22) détenus parmi les 71 libérés seraient revenus “volontairement” dans le cachot!
5) Dans la nuit du Dimanche 19 mai à Lundi 20 mai 1996, le bureau et le cachot de la commune NYAKABUYE ont été attaqués par des individus “non identifiés” qui furent repoussés par les soldats de garde de l’APR. Selon les autorités militaires locales, il s’agirait des “infiltrés hutu” venus du Zaïre pour libérer les détenus.
6) Durant la même nuit du 19 au 20 mai 1996, 45 détenus du cachot communal de BUGARAMA ont été massacrés. Comme d’habitude les responsables militaires ont incriminé “les infiltrés hutu” venus du Zaïre pour les libérer. Radio-Rwanda l’a répété le 22 Mai, soit trois jours après le carnage. Mais des enquêteurs indépendants ont prouvé que ce sont les soldats de l’APR qui ont froidement abattus ces détenus comme suit:
– en pleine nuit, les soldats de garde ont tiré en l’air, et 10 minutes après un soldat est allé ordonner aux détenus de se taire et de fermer les fenêtres du cachot (parce qu’il y a une attaque des infiltrés a-t-il dit!). Les détenus n’ont même pas eu le temps de trembler quand les soldats ont brisé les fenêtres, tiré et lancé des grenades à l’intérieur du cachot. Pendant ces exécutions sommaires, les prisonniers ont crié beaucoup en appelant au secours. Tous ceux qui habitent les collines voisines du bureau communal ont entendu ces cris et n’ont observé aucune attaque des infiltrés dans les environs.
– après le carnage, les soldats ont ouvert la porte du cachot pour demander s’il y a des survivants à hospitaliser. Les blessés graves qui répondaient qu’ils respiraient encore étaient achevés. C’est par hasard que 4, dont un non blessé, ont survécu sur les 49 détenus. Il n’y avait pas de traces d’une attaque sur les murs extérieurs du cachot communal.
– le 20 mai, le Préfet de Cyangugu Rutihunza (remplacé, curieusement 17 jours plutard, par son S/Préfet de Bugumya) et le Chef d’Etat Major de l’APR, Sam Kaka (qui avait visité la région la veille) sont arrivés. Le Bourgmestre de Bugarama, qui avait refusé d’enterrer les morts sans la présence de son Ministre de l’Intérieur, a été enfin persuadé de le faire. La population locale, qui voulait manifester leur indignation, a été déconseillée par le Bourgmestre qui craignait une répression meurtrière de l’APR.
– les familles des victimes ont récupéré les corps des leurs, tandis que les corps non réclamés ont été enterrés près du Bureau communal de Bugarama.
– d’autres témoignages fiables ont fait état de 25 autres détenus provenant des cachots de Nyakabuye et de la Cimerwa, qui ont été exécutés cette nuit-là à la Commune de Bugarama et qui portent ainsi le nombre de détenus abattus à 70 tués.
Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda dénonce et condamne l’assassinat par balles de Mme MUKABARANGA Judith, Bourgmestre la Commune, et l’exécution sommaire des détenus de NYAKABUYE (enlevés et massacrés quelque part dans la forêt de Nyungwe par l’APR et dont Radio-Rwanda a annoncé cyniquement l’évasion). Le Centre demande aux hautes autorités militaires de réprimer de telles exactions. Aussi longtemps que le “pouvoir occulte” des extrémistes tutsi ne sera pas démantelé, les massacres, assassinats politiques et exécutions sommaires ne finiront jamais.
Fait à Bruxelles, le 31 Octobre 1996.
Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur